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Daniel Gérard Rouzier accuse et dénonce l’élite bourgeoise haïtienne

Pour la responsabiliser, dénoncer sa mesquinerie, fouetter son orgueil, reprocher son indifférence face aux déboires et aux nombreux maux caractérisant depuis des lustres la réalité socio-économique du peuple haïtien, Daniel Gerad Rouzier s’en prend ouvertement à la classe possédante haïtienne qui selon ses révélations, n’est composée que de gens injustes, cruels et égoïstes.  

À la chambre de commerce haïtianno-américaine, AMCHAM, jeudi 17 mai dernier, l’homme d’affaire n’as pas pris de gant pour dénoncer le manque  d’implication et de patriotisme d’une élite irresponsable et mesquine qui a toujours priorisé ses seuls intérêts au détriment d’une masse croupissant dans la misère et la crasse.

Lisez ci-après, le contenu intégral du discours de l’ex premier ministre désigné par l’ancien président Michel Joseph Martelly


Mesdames, Messieurs,

N’ayez pas peur ! N’ayez pas peur de prendre vos responsabilités ! N’ayez pas peur de dire la vérité ! N’ayez pas peur, le cas échéant, de marcher seul dans la Lumière ! N’ayez pas peur !

Je m’en voudrais en cette occasion de ne pas prendre l’opportunité d’exprimer publiquement ma gratitude au peuple américain qui par sa générosité, son sens du vivre-ensemble et sa solidarité agissante n’a jamais manqué de nous prêter main forte dans nos moments les plus difficiles, ce peuple américain qui n’a pas hésité à accueillir chez lui plus d’un million de nos compatriotes au cours des ans…

En dépit de propos désobligeants, xénophobes et mal informés, je choisis de juger l’autre sur ses actes plutôt que sur ses dires et en ce sens, pour vous avoir déjà rencontrée, je me crois en mesure d’espérer Madame Sison, qu’en faisant choix d’une éminente diplomate de carrière comme vous pour Haïti, l’administration américaine nous signifie, si besoin était, toute l’importance qu’elle accorde encore à notre pays.

Mais, je m’égare… nous sommes ici pour parler d’investissement privé dans un pays en détresse.

N’ayons pas peur, disais-je tantôt… n’ayons pas peur de nous regarder pour ce que nous sommes :

  • Une population confrontée pendant plus de 50 ans à l’effondrement progressif de l’État, à la déliquescence de ses institutions et au règne de la médiocrité, de la corruption, de la violence, et de l’anarchie.
  • Une population décimée par des désastres cataclysmiques comme si la nature voulait, elle aussi, se joindre à la curée entamée par les gardiens du troupeau ;
  • Une population angoissée, affaiblie, désabusée, traumatisée, à genoux mais jamais vaincue ;
  • Une population qui, un jour ou l’autre se réveillera de sa zombification pour demander des comptes à ses élites, à toutes celles et à tous ceux qui l’ont conduit dans les bourbiers de tous les taudis de toutes nos grandes villes.

N’ayez pas peur et rappelez-vous des mots du Président Borno, prononcés, il y a presqu’un siècle : « Il n’est pas possible, disait-il, qu’à côté d’une élite civilisée jusqu’au raffinement, vive une masse triste, à peine touchée des lueurs du progrès. Nous, de l’élite, nous sommes injustes et cruels. Nous n’avons pas rempli nos devoirs envers ce peuple qui peine sous le soleil et la pluie pour faire vivre le pays. C’est lui qui paye presque tous les impôts. Un fossé empli d’ombre, la sépare de nous. Il faut le combler et l’illuminer, pour notre bonheur, notre paix et la conjonction féconde des forces. Jetez un regard sur la terre natale, voyez en quel état se trouvent notre outillage économique, nos écoles, nos ponts, nos routes, nos hôpitaux. Les procédés de culture sont arriérés et périmés. Notre sous-sol attend encore le coup de pioche pour livrer ses trésors. » (fin de citation…)

Chers amis, il n’y a pas de honte à dire la vérité !

N’ayez pas peur, vous qui vous plaignez des montagnes d’articles en polystyrène qui jonchent toutes nos artères après les grandes pluies. Vous voulez des réponses intelligentes, posez donc les bonnes questions : qui importe du polystyrène en Haïti, par où passe-t-il, à qui profite le crime ?

 Quand l’État annonce qu’il perd plus de $400 millions de revenus à la frontière et dans les douanes de tous nos ports, qui sont ces importateurs qui fraudent ouvertement et alimentent la contrebande, d’où sortent-ils, à qui vendent-ils ? Pourquoi l’État les tolère-t-il encore ?

Lorsque vous dénoncez l’insécurité foncière, qui sont les spoliateurs ? D’où viennent les juges, les policiers et les greffiers qui les accompagnent pour déposséder les honnêtes gens ?

Quand 83% de nos compatriotes qui sont détenteurs d’un diplôme universitaire ont laissé le pays, sommes-nous enfin prêts à admettre qu’aucun changement réel ne peut se faire sans eux ?

Les questions sont là, les réponses aussi. Pa gen sekrè nan fè kola… En regardant les chiffres, les solutions devraient couler de source.

Les statistiques ne mentent pas et les faits sont têtus :

  • L’agriculture Haïtienne représente 25% du PNB. Elle emploie 66% de la population, mais de manière fort paradoxale, seulement 5% du budget national lui sont alloués.
  • Entre temps, depuis 1950, Haïti est en déficit alimentaire croissant et doit importer chaque année plus de nourriture que l’année précédente.
  • 4 millions de tonnes d’arbres sont coupées chaque année mais seulement 500,000 tonnes sont replantées. Les résultats sont patents : Haïti n’a plus qu’1.5% de couverture forestière.
  • 13 foyers sur 14 doivent transporter l’eau qu’ils utilisent. Cependant, grâce à la pluie, Haïti reçoit 560 fois les besoins en eau de la population.
  • Haïti produit le moins de déchets par tête d’habitant de toute la zone (0.70 kg par personne par jour), comparé à 1 kg26 pour la République Dominicaine et à 2kg 04 kg pour les États-Unis.
  • Haïti est cependant le pays le plus insalubre de toute la zone car nos nous ne ramassons que 11% de nos ordures, comparé à 60% pour la République Dominicaine et à 76% pour la Jamaïque.
  • Tous les soirs, huit millions de nos compatriotes dorment dans le noir, sans électricité
  • Cinq millions d’entre nous ne savent ni lire ni écrire et sont dans le noir, le jour comme la nuit
  • Huit Haïtiens sur dix vivent avec moins de 2 $US par jour (9 sur 10 en milieu rural)
  • Deux haïtiens sur dix contrôlent 70% des richesses du pays et même si nous arrivions à les répartir à part égale entre tous nos concitoyens, le pays figurerait toujours et encore au rang des pays les moins avancés ;
  • Plus de quatre enfants sur dix sont privés de service sanitaire de base et vivent dans des logements sans toilette ;
  • Environ 30% de nos enfants n’ont jamais été vaccinés contre une maladie ;

Je pourrais pendant longtemps encore vous réciter toute une litanie de statistiques, il nous suffit de retenir une chose, une seule : bien que le tableau soit sombre, tout n’est pas irrémédiablement perdu. Il faut cependant que nos ressources soient gérées avec intelligence, transparence et parcimonie.

Grâce aux avancées technologiques dans l’éducation, la santé publique, le transport, la production d’énergie et la construction d’infrastructures, il est possible pour Haïti de rattraper 50 ans de retard en moins de 10 ans.

Aujourd’hui, il est important, au-delà d’un constat d’échec, de proposer des solutions intelligentes aux différents problèmes du pays. L’effort sera noble s’il permet de soumettre des options économiques, sociales et politiques à la critique et à l’appréciation de la Nation.

L’effort sera payant si, au bout de l’exercice, fort d’une entente nationale sur les objectifs à atteindre et sur la marche à suivre, nous nous mettons tous humblement, diligemment, honnêtement et intelligemment au travail.

L’absolue nécessité d’une alliance historique entre tous les enfants du pays, sans exclusion et sans exclusive, est une condition sine qua non à la moindre espérance de rétablissement de la situation catastrophique dont nous avons hérité aujourd’hui.

Cette alliance n’est cependant pas une négation de l’individualité du citoyen, de son histoire et de son identité. Elle est plutôt le fruit d’un dialogue franc et transparent et est solidement ancrée sur des concessions faites par les uns et par les autres sur leurs idées, jamais sur leurs convictions, pour arriver à une solution qu’ils s’engagent conjointement à exécuter.

Un état sans moyen de servir la population est condamné à toujours être un état faible, servile et assisté. Aujourd’hui, j’exhorte mes compatriotes en général et mes collègues du secteur des affaires en particulier à s’engager sans équivoque à « rendre à César ce qui est à César » en s’acquittant honnêtement et totalement de leurs redevances fiscales.

La sempiternelle excuse de ne pas payer de taxes par manque de confiance en ceux qui gèrent l’État ne doit plus tenir. L’État c’est eux, mais l’État c’est aussi nous ! En échange, et pour ma part, je m’attends à ce que les dirigeants de mon pays respectent leurs engagements, tous leurs engagements, qu’ils rendent des comptes et qu’ils soient transparents dans leur gestion.

Ce pays qui a tout pour être riche : un sol fertile, une population jeune, des minerais inexploités, un climat envoutant, une culture richissime… Ce pays auquel il ne manque en réalité qu’une chose, une seule : une conspiration de gens de bonne volonté… une conspiration faite d’hommes et de femmes bien formés, honnêtes, conscients de leur responsabilité divine de détruire à tout jamais l’Haïti de misère, d’égoïsme et de mendicité qui a existé jusqu’ici pour la remplacer par une Haïti verte, vibrante, dynamique, prospère, équitable et résolument tournée vers l’avenir.

Si notre pays est dans l’état où il croupit aujourd’hui, si notre économie prend encore du temps à démarrer et à permettre que tous ses enfants y vivent dignement, nos élites, toutes nos élites (qu’elles soient économiques, politiques, sociales ou religieuses) ont une énorme responsabilité à assumer. Elles devront comprendre que le système, tel que conçu, tel que géré, tel qu’existant ne peut produire que plus de misère, plus d’inégalité et plus d’instabilité.

Il n’y a à mon sens, qu’une solution, une seule : comprendre et finalement accepter que l’homme, que tout homme est l’auteur, le centre et la finalité de toute action économique et que les maux du pays se résument essentiellement à un manque chronique d’opportunités pour tous.

Il est temps que nous bâtissions une économie construite sur des relations interpersonnelles et fondée sur des principes éthiques et moraux. Une économie qui devra trouver sa finalité dans le caractère unique de la personne qui, en tant que créature de Dieu est appelée à partager Sa nature divine.

Par conséquent, en conduisant les affaires de notre pays, de notre communauté et de nos sociétés, une vigilance morale s’impose. Une vigilance qui veille à la vocation de l’homme et aux moyens à employer pour lui permettre de fleurir et de prospérer. Le Bon Dieu nous a donné des talents, utilisons-les, investissons-les à bon escient.

Trop souvent, le progrès et la richesse ne bénéficient qu’à une petite minorité alors que les pauvres sont laissés dans leur misère et leur désespoir. Le progrès économique d’une nation n’est pas toujours associé à une expansion de la solidarité et de la fraternité.

Pour que le citoyen fleurisse, la pièce maîtresse, la pierre angulaire, le soutènement de son mieux-être sont des entreprises responsables dont les bilans financiers seront progressivement complétés par deux autres instruments : un bilan social et un bilan écologique.

En étant socialement responsables, ces entreprises souscriront à une éthique clairement définie à travers un énoncé de mission précis et s’évertueront à mieux contextualiser leurs activités économiques en répondant aux attentes légitimes de leurs employés, de leurs clients et des communautés dans lesquelles elles évoluent.

En étant écologiquement responsables, ces entreprises s’engageront à respecter les espaces physique, culturel et biologique dans lesquels elles évoluent. Elles seront proactives et admettront qu’il y a obligation pour tous et pour chacun de protéger l’environnement de façon préventive, de conserver l’habitat et de réparer les dommages écologiques qu’elles pourraient avoir causés.

Lorsque toutes les entreprises haïtiennes sauront être tenues pour responsables financièrement, socialement et écologiquement, le système économique haïtien deviendra lentement mais sûrement plus équitable. En suivant l’exemple venant des entreprises qui les servent, les citoyens s’habitueront à une culture de résultats et exigeront des explications de ceux qu’ils élisent à tous les niveaux de l’État. La vie en Haïti deviendra plus agréable car nos dirigeants auront, chaque jour un peu plus, la conscience et les moyens de consolider la paix sociale fondée sur la solidarité et le développement intégral de la population.

N’ayez pas peur ! N’ayez pas peur de rêver encore à un avenir prometteur ! N’ayez pas peur de vivre et d’agir autrement !

En ayant une économie stable et prospère, en faisant respecter la loi aveuglement par tous, sans exclusion et sans exclusive, notre pays sera alors capable d’offrir des gages de sécurité, de stabilité et de profitabilité qui y attireront des capitaux étrangers.

Rien de ce que je viens de décrire ne sera facile : Il nous faudra un engagement courageux et salutaire empreint d’une grande énergie morale pour construire la nation progressiste et civilisée à laquelle nous aspirons tous et la faire passer d’un état failli et assisté, à un état social plus évolué dans l’ordre économique, intellectuel, sportif, artistique et technique. Pour être irrévocables, nos choix devront être inébranlables c’est-à-dire issus d’un large consensus.

Sauver le pays ne saura être l’œuvre d’un messie, mais viendra plutôt de la foi et de l’empathie agissantes d’hommes et de femmes prêts à ne négliger aucun sacrifice pour mener ce pays autrement et commencer à le reconstruire, un homme à la fois, une pierre à la fois, un arbre à la fois, une valeur morale à la fois, un geste d’amour à la fois…

Merci – Daniel Gérard Rouzier


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