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Interview exclusive: les dessous de l’enquête du New York Times sur l’énorme rançon exigée par la France à Haïti

La rédaction de Juno7 a interviewé l’équipe du New York Times composée de Matt Apuzzo, Constant Méheut, Selam Gebrekidan and Catherine Porter qui a réalisé l’enquête retraçant l’histoire de la dette haïtienne et qui explique comment la France puis les Etats-Unis ont exigé l’équivalent de centaines de millions d’euros à Haïti après son indépendance.

Juno7 : Qu’est ce qui a poussé le New-York Times à réaliser cette enquête qui a abouti à pas mal de révélations ?

Constant Méheut : Nous avons commencé à nous intéresser à ce sujet en 2019 lorsque des manifestations antigouvernementales ont à nouveau éclaté en Haïti. En utilisant une approche journalistique, nous avons cherché à aller au-delà des problèmes actuels pour aider nos lecteurs à comprendre les forces qui ont façonné le pays jusqu’à aujourd’hui. Lorsque le président a été assassiné en 2021, cette question est devenue encore plus importante pour nous en tant que journal, et pour apporter le contexte historique à un large public. Il a fallu deux ans à l’équipe pour réaliser ce reportage.

Juno7 : Avez-vous rencontré des difficultés pour réunir les informations pouvant retracer les montants qui ont été versés par Haïti à la France dans le cadre de l’indemnité réclamée pour les colons ? Qu’avez-vous mobilisé comme ressources pour réaliser ce travail colossal ?

Constant Méheut : Retracer les montants payés par Haïti nous a demandé beaucoup de temps. Nous nous sommes appuyés sur des dizaines de sources indépendantes et avons passé beaucoup de temps dans des centres d’archives en France, en Haïti et aux Etats-Unis pour rassembler des milliers de documents et d’archives gouvernementales permettant de retracer les paiements à la France. Nous avons aussi beaucoup utilisé les écrits de Frédéric Marcelin, un ministre des finances haitien à la fin du 19e siècle, ainsi que des pamphlets écrits par des investisseurs français et des lettres de diplomates français. Nous avons présenté notre état détaillé des paiements à six historiens, dont Gusti-Klara Gaillard et Guy Pierre, qui ont tous approuvé nos conclusions. Nous avons ensuite travaillé avec 15 économistes pour estimer le coût à long terme de ces paiements, que nous avons évalué entre 21 et 115 milliards de dollars actuels. Nous avons également publié une longue bibliographie et l’ensemble des données utilisées pour nos calculs.

Juno7 : L’enquête a démontré des liens entre le fait que les richesses du pays ont été pillées et la pauvreté extrême dans laquelle nous pataugeons aujourd’hui selon vos recherches est ce que ce lien est assez étroit ou c’est juste une coïncidence ?

Constant Méheut : Ce n’est pas une coïncidence mais ce n’est pas non plus la seule raison. Comme expliqué dans les articles, la corruption, les régimes autocratiques, les catastrophes naturelles ont aussi joué un rôle très important dans la pauvreté actuelle du pays. Ce que notre enquête démontre, c’est que la double dette a participé à plonger Haïti dans un cycle de dette perpétuelle, prolongé par les actions des banques françaises et par l’invasion américaine. Au milieu du 19e siècle, c’est-à-dire quand la plupart des pays développés, ainsi que certains pays en développement comme le Costa Rica, investissaient leurs ressources dans la construction de ponts ou d’hôpitaux, autant d’investissements qui ont bénéficié aux citoyens de ces pays, Haïti était contraint de payer la France au lieu d’effectuer ces investissements vitaux.

Juno7 : L’enquête a démontré une connexion entre certains événements politiques malheureux en Haïti et l’action de plusieurs puissances étrangères qui tirent les ficelles dans le pays, n’avez-vous pas hésité à soutenir de telles affirmations ?

Constant Méheut : Tout ce qui est écrit dans notre enquête concernant le départ du pouvoir de l’ex-président Aristide découle des témoignages recueillis auprès d’officiels haïtiens et français, dont notamment l’ancien ambassadeur français à l’époque, Thierry Burkard. Les témoignages recueillis auprès des membres de la commission française clarifient également l’un des buts de leur mission en Haïti, à savoir étouffer la demande de restitution. Par ailleurs, nous avons à plusieurs reprises rappelé la position officielle des Etats-Unis, selon laquelle l’ex-président Aristide est parti de son plein gré.

Juno7: L’enquête a soulevé pas mal de réactions notamment en Haïti mais aussi en France, et aux États-Unis est ce que ces réactions correspondent à vos attentes ?

Constant Méheut : Nous n’avions pas d’attentes spécifiques concernant les réactions. Nous sommes heureux que cette enquête ait été lue et partagée largement, notamment auprès des Haïtiens qui sont les premiers concernés par cette histoire. C’est précisément pour cela que nous avons traduit tous nos articles en Créole haïtien.

Juno7 : Dans notre histoire il n’y a que le président Aristide et après lui aucun chef d’état n’a pris des engagements en faveur de la restitution de la dette de l’indépendance, que pense votre équipe de cette situation ?

Constant Méheut : Nous ne pouvons que faire le même constat que vous: Aristide est le seul chef d’État à avoir lancé une demande de restitution. Et au lendemain du départ d’Aristide, le premier ministre Latortue avait signifié qu’il abandonnait la demande de restitution, dans une perspective d’amélioration des relations franco-haïtiennes.

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