L’avocat Joseph Manès Louis se positionne dans le débat relatif à la fin du mandat du président Jovenel Moïse.
L’incertitude qui règne autour de la date précise de la fin du mandat du président Jovenel Moïse continue d’alimenter un important débat dans l’opinion jusqu’à pousser les plus avisés à prendre position. Parmi ceux qui croient se tenir au côté de la loi pour rappeler au chef de l’Etat que son mandat prendra fin le 7 février 2021, se trouve l’avocat au Barreau des avocats de Port-au-Prince, Joseph Manès Louis.
Selon lui, se positionner pour 2022, « c’est commettre à la fois un péché théorique et un crime de lèse-patrie ».
La rédaction de Juno7 vous propose de lire ci-après, l’intégralité de son argumentaire.
Les Tireurs de ficelles ostensiblement au service de PHTK
Apres avoir analysé religieusement l’argumentaire du Professeur Sonet Saint Louis de même que celui de la Professeure Mirlande Manigat, argumentaires portant sur l’article 134.2 de la Constitution, en vertu duquel, en toute logique, le mandat du Président Jovenel Moïse doit prendre fin le 7 février 2021, je croyais que le débat était techniquement clos, si débat il devait en avoir.
Et pourtant, dans un élan statologique quelques Tireurs de ficelles bien connus, hommes de leur état, ont émis des avis fallacieux contraires en se prononçant pour le 7 février 2022, brandissant tristement des arguties juridiques ou des considérations sociologiques qui s’écartent de la norme constitutionnelle.
Dans toute société voulue démocratique comme la nôtre, exprimer ses opinions sur un sujet d’intérêt public est une liberté reconnue et garantie par la Constitution. Je dirais même, que c’est un devoir qui ne peut être limité, que par une obligation de vérité encadrée par les prescrits constitutionnels. En effet, comme dispose l’article 52 de la Constitution : « Tout citoyen est tenu de respecter la Constitution dans l’ordre moral, politique et économique vis- à-vis de l’Etat et de la Patrie ».
De ce qui précède, appliquant la dialectique à notre histoire de peuple, Madame Mirlande Manigat a su sans le dire, avec sa modestie habituelle et toutes les compétences qu’on lui reconnait, corroborer la thèse de Me Saint Louis, Professeur de droit constitutionnel à l’UEH, soutenant avec brio, que le mandat du Président Jovenel Moïse doit prendre fin le 7 février 2021.
A ce titre, permettez-moi, tout en les félicitant, d’inviter la population haïtienne à faire sien ce point de droit qui, à mon avis, est incontestable. Par contre, avant qu’il ne soit trop tard face à l’administration de Jovenel Moïse caractérisée par la corruption et l’insécurité, le droit d’y résister devient légitime.
Permettez-moi par ailleurs de rappeler aux uns et aux autres, que toute activité politique relève de la règle juridique et non du bon plaisir, du bon vouloir et/ou des caprices des uns et des autres.
En m’autorisant de répondre au Docteur Fritz Dorvilier, Juriste de son état, qui, sur le sujet qui nous préoccupe, s’est livré à une sorte de supercherie intellectuelle, je n’ai nullement la prétention de faire pour rien, je voudrais tout simplement démontrer qu’il a commis un péché théorique en ayant mal posé le problème.
En effet, en présentant sa thèse sur la question du mandat présidentiel, il a évoqué un arrêté qui, selon lui, anéantissait l’élection présidentielle de 2015.
Je rappelle que l’arrêté auquel il fait allusion est bien celui du 25 mai 2016, paru dans le journal Le Moniteur, le vendredi 27 mai 2016 au # 96, élargissant le mandat du Conseil Electoral Provisoire (CEP).
Il convient aussi de rappeler au Professeur Dorvilier, que dans cet arrêté présidentiel, le CEP a eu entre autres, comme mission de :
- Poursuivre le processus électoral initié en 2015 pour compléter les sièges vacants au Sénat de la République et à la chambre des députés.
- Finaliser les élections Présidentielles.
Aussi, après l’annulation des résultats des élections de 2015 pour fraudes massives, celles-ci ont été reprises en 2016 (processus poursuivi). Entre temps, le mandat d’un autre tiers du Sénat devrait être réalisé, ce qui avait permis au CEP d’ouvrir des inscriptions pour le tiers suivant du Sénat.
De ce fait, un candidat à la présidence avait la possibilité de se retirer de la course présidentielle pour se porter candidat aux Sénatoriales. Il ne s’agit nullement d’une nouvelle élection puisque les candidats à la présidence ont dû conserver le même numéro dans les bulletins et sur le plan du droit électoral, la liste électorale générale (LEG), du reste avait été maintenue en état. Sinon, le CEP aurait donné la possibilité à tous ceux et à toutes celles qui auront atteint le majorat en 2016 de jouir de leurs droits civils et politiques.
Entre autres, si le Professeur Dorvilier prétend avoir produit une analyse éclairée basée sur des théories du Droit Constitutionnel et du Droit Administratif, force est de constater qu’il a fait fi de deux disciplines juridiques régissant avant tout la matière électorale, il s’agit:
- du droit électoral, un droit à éclipse qui revient à chaque période électorale;
- du droit du contentieux électoral.
Si comme le brillant Professeur Dorvilier l’a signalé, le processus électoral n’est pas un acte administratif unilatéral, je tiens à lui rappeler que cette expression renvoie juridiquement à un ensemble d’opérations et procédures tenant tant au droit électoral qu’au droit de contentieux électoral. Ace titre, il s’agit avant tout de respecter des échéances constitutionnelles, dont les aléas ne devraient avoir aucun impact négatif sur le fonctionnement et la continuité de l’Etat. La procédure en matière électorale est donc célère.
Point n’est besoin de polémiquer sur l’expression « processus électoral », car les contestations électorales ne sont que des litiges électoraux soumis à l’appréciation du Juge électoral.
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Rappelons que le terme procès vient du latin processus qui signifie progrès, et le terme procédure, a pour origine latine le mot procedere qui a pour signification avancer. Donc, le terme processus électoral implique juridiquement les règles relatives aux conflits électoraux qui vont indiquer une marche à suivre tendant à respecter et faire respecter les normes établies et assurer la sincérité de l’expression du suffrage universel.
En décortiquant la thèse du Professeur Dorvilier, on peut se rendre compte à quel point il s’est malheureusement fourvoyé dans une littérature juridique, empreinte d’incohérence. Pour lui, le terme « Processus électoral » ne se trouve nulle part dans la Constitution et n’a donc pas de fondement juridique. Tout en reconnaissant que le Professeur Dorvilier a commis une erreur monumentale mais j’en doute fort qu’il ait pu ignorer la place d’un arrêté dans l’ordonnancement juridique interne. En principe, le terme « Processus électoral » devient un concept juridique dont le fondement repose sur le principe de légalité, aussi longtemps que ledit arrêté qui en a fait mention n’a pas été déclaré illégal par le Tribunal Administratif qu’est la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif (CSCCA).
Concernant, le consensus proposé par le Professeur Dorvilier pour une sortie de crise, il s’agit là d’une solution bâtarde et inadaptée à cette crise conjoncturelle et structurelle que connaît la nation. Si la politique est la science du compromis, il y a lieu de reconnaitre que l’on ne peut pas transiger sur les prescrits constitutionnels, la Constitution étant d’application stricto sensu, Du ra lex sed lex. Comment se positionner pour que Jovenel Moïse puisse bénéficier d’une prolongation de mandat, d’ailleurs interdite, quand on sait qu’il est le premier responsable de cette crise électorale mettant en péril le fondement de la démocratie haïtienne, concept qui repose sur la permanence et la séparation des trois pouvoirs, Nul ne peut faire valoir ses propres turpitudes.
En effet l’article 134-2 de la Constitution se lit comme suit : « l’élection présidentielle a lieu le dernier dimanche d’octobre de la cinquième année du mandat présidentiel.
Le président élu entre en fonction le 7 février suivant la date de son élection. Au cas où le scrutin ne peut pas avoir lieu avant le 7 février, le président élu entre en fonction immédiatement après la validation du scrutin et son mandat est censé avoir commencé le 7 février de l’année de l’élection ».
Comme le professeur Guerby Blaise et d’autres juristes, l’ont déjà souligné dans leur prise de position écrite, l’article précité pose un principe et un tempérament nonobstant, les petites nuances relevées au niveau de la formulation de l’article, qui à tort ou à raison, pourrait prêter à équivoque.
A mon humble avis, le principe posé est celui de la normalisation de la vie politique qui s’impose. Ce principe s’impose avant tout au Président de la République qui, au regard de l’article 136 de la Constitution, doit « veiller au respect et à l’exécution de la Constitution et à la stabilité des institutions. Il assure le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l’Etat »
Le tempérament qui résulte du deuxième alinéa est une sorte de sécurité juridique par rapport à ce que le Droit administratif qualifie de circonstances exceptionnelles ou de situations d’exception liées aux aléas du temps. Dès lors, il n’est nullement nécessaire de se creuser les méninges, à l’instar du brillant Professeur Dorvilier, pour déterminer la nature constitutionnelle de la Présidence de Privert. Le droit administratif sur lequel le Professeur Dorvilier s’est basé pour argumenter son point de vue a déjà donné la réponse avec la théorie des fonctionnaires de fait. Le temps de Privert comme Président de facto est, à la fois une réalité liée à l’effectivité du pouvoir dont le transfert s’est opéré suivant un précédent parlementaire, et une fiction exprimée par le tempérament du deuxième alinéa de l’article 134-2, suivant laquelle le mandat du Président Jovenel Moïse est réputé avoir commencé, selon la lettre et l’esprit de l’article, le 7 février 2016. La durée du mandat présidentiel étant de cinq ans. (2016-2021).
Je voudrais terminer cette réplique en prenant mon cas à titre d’exemple : candidat régulier aux élections de 2015, j’ai eu mes entrées au Parlement le 9 janvier 2017, dit-on, comme député complémentaire et mon mandat a bel et bien pris fin le 13 janvier 2020. Donc je n’y ai passé que 3 ans. Toute prolongation après cette date risquerait de créer une insécurité juridique et un bouleversement interminable dans l’ordre juridique établi. C’est la raison pour laquelle, au niveau du système électoral français et dans certaines démocraties modernes, à quelques exceptions près, comme le Canada, le Mali, l’Espagne, la Suède et la Pologne, pour éviter qu’il ait vide institutionnel, surtout en ce qui concerne les élections cantonales, municipales et législatives françaises, l’élu dont l’élection est contestée garde son mandat jusqu’à ce que le Juge de l’élection ait tranché par une décision définitive.
Finalement, se positionner pour 2022, c’est commettre à la fois un péché théorique et un crime de lèse-patrie.
Joseph Manès Louis Avocat au Barreau de Port-au-Prince, Maître en Droit Public
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