Opinion

Gangs Armés et Vodou : la nécessité d’un sens moral et éthique

Quelques temps de cela, j’ai visionné une vidéo de courte durée montrant deux personnages,vraisemblablement des membres de gangs, l’un tirant à bout portant sur l’un des pieds de l’autre sans provoquer d’éclaboussures ni de perforations sanglantes. En temps normal, celui qui s’y est prêté à ce genre d’expérience aurait pu sortir avec des dommages corporels. Dans un premier temps, j’ai souri en me disant que les occidentaux portent des gilets de sécurité visibles et palpables et c’est quasiment normal de leur point de vue. Les haïtiens portent aussi un gilet de sécurité mais invisible et bien présent puisque le corps ne subit aucun impact de projectiles et c’est tout aussi normal de notre point de vue. Cela ouvre bien de nouvelles perspectives qui incitent à considérer le visible et l’invisible suivant un autre paradigme scientifique.

D’autre part, mon esprit s’est attardé à saisir un autre message sur le phénomène des gangs en Haïti. Etant intéressée aux aspects métaphysiques, j ai passé un temps fou à effectuer un voyage dans le temps pour comprendre et pour arriver à donner un sens anthropologique à l’émergence de ces groupes armés.

Alors, j’ai commencé par visualiser les bandes à Ti Noel Prieur, les bandes à Biassou et de Jean-François, les bandes à Yayou du temps de la colonie. J’ai aussi passé en revue les gangs de Arnel Joseph, les gangs de Ti Mepris, d’Odma, de Barbecue, de Gabriel et autres, comme contemporain.

Des points de ressemblance mais surtout des divergences en ressortent de ce tableau comparatif.

Les points de Ressemblance

Leurs dénominations restent identiques malgré plus de trois siècles d’écart. Le groupe s’identifie par rapport au patronyme du chef de file. Par exemple «bandes à Yayou, gangs/nèg Barbecue yo, gangs Odma, baz Ti Mepris etc.».

Il existait une géolocalisation des bandes d’esclaves sous la période coloniale. Il en est de même actuellement: nèg gran ravin/Matisan ; nèg site solèy yo, nèg vilaj de dye ; 400 mawozo nan Kwadèboukè, nèg Odma nan savien/Latibonit etc.

Les deux groupes ont une affiliation au vodou et se servent des «pwen». Ils sont investis de capacités de protections «surnaturelles» rendant leurs chefs invincibles pour la plupart. Par exemple, «Makandal» sous la colonie;  actuellement «Lanmô san jou», chef de gang des «400 Mawozo» à la Croix des Bouquets. Odma dispose d’une croix de protection et d’une couleuvre, dit-on. Babecue «pa pran bal».

Les membres des deux groupes proviennent de milieux défavorisés : les bandes à Yayou et Petit Noel Prieur étaient des esclaves révoltés qui menaient une vie infrahumaine dans les habitations de leurs maîtres. Ceux de Vilaj, de site solèy, de Savien, de la Croix-des-Bouquets habitent les zones défavorisés, couramment appelés «geto» ou de milieux paysans pauvres. 

Les Points de Différence

La bande à Yayou disposait pour la plupart d’armes bactériologiques (kout poud, kout lè), des armes blanches (couteaux) et des armes de guerre de l’époque (carabine et autres) [je suppose]. actuellement, les bandes ou gangs disposent d’un arsenal de guerre incomparable à celui de la Police Nationale, les rendant plus que redoutables.

La bande à Yayou s’approvisionnait en armes et munitions à partir des troupes français vaincus mais aussi à partir de laboratoires bactériologiques existantes. Ils avaient une vision et une orientation et luttait en fonction d’une idéologie de libération liée au contexte esclavagiste. Les bandes actuelles sont approvisionnés en munitions par des politiciens, des parlementaires, des éléments mafieux du secteur privé haïtien. Au lieu de ravir des armes et des munitions, ils sont régulièrement alimentés par des patrons locaux et semblent défendre des intérêts individuels dans une mouvance de luttes politiques internes mettant face à face les autorités en place et leurs opposant politiques.

L’histoire semble se répéter mais avec un arrière goût plutôt amer. Car, il existe beaucoup plus de ressemblance quant à leur mode opératoire.

Mais, revenons à cette vidéo que j’ai évoqué au début de cet article. D’un point de vue analytique, cette scène devrait attirer l’attention de trois groupes d’individu dans la société :

  • les policiers et la population ;
  • Les anthropologues, politologues et historiens
  • Les hommes et les femmes d’Etat avisés
  1. Pour un communicateur avisé, cette scène projette globalement dans la conscience de ceux qui la regarde trois messages subliminales:
  2. Un message d’invincibilité qui s’adresse directement aux policiers et à la population, considérés comme parties adverses et qui semble vouloir dire : si des projectiles (bal) ne peuvent nous atteindre, vous qui êtes armés ou qui souhaiteraient nous attaquer, vous êtes perdants d’avance.
  3. Un message de peur, d’intimidation et de crainte toujours à l’attention de la partie adverse (policiers et population) : comme je suis invincible, vous devriez avoir peur de nous affronter et vous ne pouvez nous affronter car nous disposons de protections surnaturelles.
  4. Un message de force à la partie adverse (policiers et population) : vous êtes sans recours contre nous car nous sommes invincibles, par conséquent plus fort que vous tous ; inutile de nous poursuivre.

Pour les anthropologues, les politologues et historiens, cette scène est d’une révélation extraordinaire en ce qu’elle révèle au grand public une arme stratégique d’Etat que les ancêtres combattants ont utilisé dans la guerre de l’Indépendance ; mais tout aussi gravissime car, de telles capacités appartenaient à une elite [je présume]. Or actuellement, il apparaît que cette connaissance est libérée sans aucun sens moral et éthique à des individus sans foi ni loi, dédiés à une cause individualiste et non collective.

Je présume également que ceux détenant le secret de l’invincibilité descendent d’une lignée aux missions bien spécifiques : vaincre l’ennemi colons par tous les moyens. Actuellement ceux qui s’accapare de cette capacité se dresse non pas contre les colons mais contre leurs frères haïtiens dans une lutte fratricide sans aucune saveur nationaliste. C’est la banalisation d’une connaissance de guerre hors du commun et c’est là le plus grand danger pour la société.

Dans l’imaginaire collective haïtienne, on parle de «pran pwen pou pa pran bal oswa pran gad pou pa pran bal». Et toujours est-il que cela restait l’apanage d’une catégorie spécifique d’individu appartenant soit à l’Armée ou la Police Nationale. Mais, il n’en demeure qu’ une telle capacité était réservée à une élite.

Mais depuis l’apparition des «rat pa kaka, sourit pa travèse», sous la période Aristidienne, des personnages pour le moins emblématique ont fait leur apparition sur la scène politique avec épithète «yo pa pran bal». Ce sont les «Grenn Sonnen, La Banyè, Dread Wilme et autres». Abattre ces personnages ont nécessité l’application de moyens singuliers correspondant à leurs capacités, comme les «bal monte» et autres stratégies bien connues de ceux pratiquant cette science. C’est une évidence, il s’agit d’une arme de combat.

Existe t-il une différence ou des similitudes entre les partisans d’Aristide, originaire des ghettos et les gangs fédérés actuellement en lien avec cette capacité d’invincibilité ? Forcément, mais tel n’est pas l’objet de cet présent article.

Pour l’Homme ou la Femme d’Etat avisé-e, de telles capacités en appelle à renforcer et à moderniser de telles pratiques en mettant à l’oeuvre de véritables politiques publiques en partenariat avec les sociétés secrètes haïtiennes.

Mais à qui incombe cette vaste dérive?

Il est clair que ceux qui ont prodigué ces «pwen ou gad» sont coupables au premier chef. Transmettre pour de l’argent des connaissances ou des «pouvoirs magiques» à des individus mal intentionnés et reconnus comme tel par le donateur relève du cynisme et de criminalité avérée. Cela renvoie à jeter des perles aux pourceaux.

Où sont les autorités vodou ? quid de l’Ati National et toutes les cohortes qui l’accompagnent?

Où sont les sociétés secrètes (Sanpwèl Bizango, Blenbendeng, Konvwe et autres) ? La nation a besoin de vos services.

Il existe dans le vodou un principe qui veut que chacun est chef de son badji ou de son «lakou». «Chak bourik bwè nan patiraj yo ; «chak bitasyon, lakou ak perestil» a ses propres principes de fonctionnement er règlementations. D’un point de vue historique, culturel et stratégique de telles attitudes demeurent compréhensives. Mais aujourd’hui, face à certaines dérives constatées de certains agents vodou qui nuisent profondément à la société, l’heure n’est-elle donc pas venue pour assigner de nouvelles consignes ou code de conduite collective ?  l’heure n’est-elle donc pas venue pour le vodou de trouver un modus operandi moderne capable de relier toutes ses unités fonctionnelles (lakou, bitasyon, peristil) autour de nouvelles pensées éthiques et morales fin d’établir des balises pour protéger la collectivité. Et au mieux, l’heure n’est-elle donc pas venue pour créer de nouvelles structures d’élite adaptées au contexte actuel pour surveiller, contrôler et rétablir l’ordre parmi les pratiquants de la spiritualité vodou, parmi les déviants, et surtout parmi les politiciens mal intentionnés qui utilisent le coté obscur au détriment de la lumière ?

Sinon, le vodou deviendrait complice de la terreur semée par ces déviants car, tous les chefs de gangs sont réputés invincibles (yo pa pran bal). De ce fait, le vodou devient automatiquement complice des pleurs, des morts et des actes de barbaries perpétrés par ces individus sur leurs victimes en particulier et sur la population en général.

Vodou où es ton sens éthique et morale !!!!!

Marie Florance JEAN PIERRE, MAP
Anthropologue, juriste
lfloreandree@yahoo.fr

En savoir plus:

21 Janvier 2002 : démission du gouvernement Chérestal

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