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Le sociologue et ancien consul d’Haïti à Santiago en République dominicaine, James Jacques, dans un texte a fixé sa position sur la conjoncture actuelle et plaidé en faveur d’un pacte pour la stabilité permanente en Haïti. Nous publions ci-après son texte.
Je m’adresse à vous aujourd’hui car il y a urgence ! Urgence de rebâtir sur de nouvelles bases cette nation libre que nous ont léguée nos braves ancêtres au prix de leur sang et de leur chair. Urgence de trouver une solution Haïtienne à cette situation qui a trop duré ! En effet, le pays reste aux prises avec de redoutables problèmes.
Depuis notre indépendance nous ne connaissons que troubles et instabilités tant sur le plan politique que sur le plan socio-économique.
De 1804 à 2021, le pays a connu seulement 13 chefs d’État ayant bouclé leur mandat, 27 coups d’État et 15 présidents provisoires conduisant ainsi le pays de crise en crise. Chacune d’elle ouvre la voie sur une nouvelle plus catastrophique que la précédente.
En conséquence, on a un tableau d’indices de développement humain plus sombre que jamais. En 2021, le PIB par habitant est de USD 1,815, le plus bas de la région Amérique latine-Caraïbes soit moins d’un cinquième (1/5) de la moyenne par rapport à d’autres pays avec un PIB de USD 15,092 (source Banque Mondiale). Suivant le dernier bulletin de l’Institut Haïtien de Statistiques et d’Informatique (IHSI), l’indice général des prix à la consommation (IPC100 en 2017-2018) a accusé une forte variation mensuelle de 3,2% et une hausse annualisée de 30,5%.
Cette inflation est due à la perturbation répétée des activités économiques et sociales. Ce constat macabre est dû aussi à la faveur de la dégradation considérable de la sécurité publique. La lutte contre la corruption fait aussi du surplace et le chômage des jeunes demeure préoccupant.
L’extrême pauvreté frappe une bonne partie de la population. Des individus mal intentionnés ne cessent d’attaquer et de vandaliser les symboles historiques et identitaires du pays. Les dates historiques sont souillées, banalisant ainsi la mémoire collective de la nation.
Les gangs armés ne font que se multiplier partout à travers le pays, semant la terreur en assassinant et kidnappant contre rançon nos frères et sœurs, paralysant ainsi tous les secteurs d’activités principalement l’éducation, le commerce et le transport en commun.
Cette situation de violences continue également à chasser les gens dans les quartiers occupés par des gangs armés, laissant la population impuissante dans les rues, livrée à leur sort. La population vit dans la peur et ne sait plus à quel saint se vouer ! Il y a donc lieu de se demander : qu’est-ce que nous devons faire à cet égard ? Les défis sont bien connus. Les opportunités, elles, le sont moins.
Nous sommes néanmoins tous concernés. Et nous le serons de plus en plus parce que notre pays doit, dans un tel contexte, regarder l’avenir avec un esprit ouvert et créatif. Nous devons être prêts à jouer, dans la mesure du possible, un rôle majeur dans une histoire qui va faire changer notre avenir proche. D’ailleurs, notre pays, nous le savons bien, est confronté à des défis d’envergure mais présente également de très nombreuses opportunités.
Haïti n’est pas le seul pays au monde à avoir connu des moments de troubles d’ordre politique et socio-économique. Nous pouvons encore nous en sortir !
Nous pouvons citer à titre d’exemple rafraîchissant d’abord, le Rwanda en 1994 avec le génocide des Tutsis par les extrémistes Hutu faisant environ 800 000 morts. Ils ont pu rebondir avec la mise en place d’une politique d’unité nationale et de réconciliation. Ensuite, l’Afrique du Sud avec l’Apartheid, où Nelson Mandela après 27 ans de prison a négocié l’élaboration d’une nouvelle constitution menant ainsi le pays tout droit vers la route du développement durable.
Plus près de nous, la République Dominicaine, où Joaquin Balaguer est parvenu à un accord avec son principal concurrent, le social-démocrate José Peña Gomez mettant fin à une crise post-électorale qui menaçait la stabilité du pays.
Mes chers compatriotes, aujourd’hui plus que jamais, nous devons user de toute notre énergie et notre sentiment d’appartenance à cette terre pour freiner cette descente aux enfers en réalisant « un pacte pour la stabilité permanente d’Haïti ».
Ensembles, nous devons pouvoir commencer par élaborer de nouvelles solutions, de nouveaux recours qui n’auront pas pour seuls objectifs de nous engloutir nous-mêmes, nos semblables, car si on vient à perdre ce bout de terre, on y perdra également l’essentiel : notre identité.
En conséquence, ces slogans de « Boule, Dechouke » sont désormais et absolument à bannir ! La nature, elle-même, dans ses principes originels nous interdit de détruire et nous invite plutôt à construire en faveur de la régénération ! Nous devons certainement tenir compte de la précarité de nos structures ; le dysfonctionnement des trois pouvoirs de l’État ; notant également une certaine passivité des différents secteurs de la vie nationale (secteur privé, société civile, syndicats, associations de médias, etc.), sans ignorer la perte totale de confiance des concitoyens en la majorité de nos « dirigeants », anciens et nouveaux, légitimes et illégitimes.
Nous pouvons nous rendre à l’évidence que plus personne ne se fie à personne et pour cause, y’a qu’à observer la grande fracturation sociale. Le tissu social haïtien est quasiment déchiré !
En vue d’un ralliement en faveur de la réconciliation nationale considérée comme l’unique porte de sortie pour sauver Haïti, je propose, de la façon la plus concrète qu’il soit, de mettre sur pied un comité de trois membres avec des personnalités dont leurs noms n’ont jamais été objet de scandale dans la société haïtienne qui aurait pour objectif de faciliter la réunion entre les acteurs et actrices et la société civile afin d’accoucher ce fameux pacte pour la stabilité permanente auquel notre pays a droit.
Au nom de la conscience nationale, j’invite toutes les femmes et tous les hommes politiques de ce pays à effectuer un dépassement de soi afin de prioriser les intérêts supérieurs de notre nation. Penser à tuer et détruire c’est se suicider. Sans notre identité, il ne nous reste plus rien ! Je suis persuadé que ce pacte se fera au bénéfice de tous et de toutes. Nous sommes face à une opportunité historique. Saisissons-la.
Pour Haïti, et pour nos pères et mères,
Formons des fils et des filles dignes et respectueux des valeurs de la République !
Haïti est à nous !
James JACQUES
Anthropo-Sociologue
Ex-Consul Général d’Haïti à Santiago, RD