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La dernière ligne rouge pour Jovenel Moïse (1)

éditorial ,Haiti

La dernière ligne rouge pour Jovenel Moïse , Cette transition qui n’en finit pas

Au moment où j’écris cette chronique, la composition du gouvernement de Joseph Jouthe est complète. Connu pour ses capacités de travail et son savoir-faire politique, le nouveau Premier ministre n’a pas à rougir toutefois de sa cote de popularité en tant que technocrate. C’est à lui de relancer le processus de dialogue inter-haïtien en laissant le chef de l’Etat hors de portée des critiques. Mais comment ? Surtout, en toile de fond, il y a une opposition en colère et une opinion publique passée maître dans l’art de souffler sur les braises avec ardeur. De manière un peu romantique, certains croyaient en un accord politique. C’est un moment crucial pour la politique nationale, notamment pour le président Jovenel Moïse qui va gouverner par décret après une législature décriée. Un tel échec ne peut pas se comprendre indépendamment des crises et des tumultes qui l’ont enfanté. Jusque-là, un mandat laminé par des mouvements de rue extrêmement orageux bien orchestrés, une présidence prise en otage par toutes sortes de forces irréconciliables et de contradictions internes incompressibles.

Est-il désormais incongru de rappeler la mission essentielle de ce nouveau gouvernement ? Compte tenu de la taille des obstacles et des oppositions qui existent par rapport au régime tèt Kale, la priorité logique est de créer (chercher à) les conditions maximales propices à la réalisation des élections pour arriver à la transmission du pouvoir dans des conditions pacifiques. Ce n’est pas simple. La question de la passation du pouvoir en Haïti est un défi déroutant. Rarissimes sont nos chefs d’Etat qui y sont arrivés. Après 1986, sauf René Préval, seul ex-Premier ministre à devenir président de la République, a pu passer l’écharpe présidentielle à ses deux successeurs : Jean-Bertrand Aristide (7 février 2001) et Michel Joseph Martelly (14 mai 2011). Pour le président Jovenel Moïse, harcelé par tant d’adversaires intransigeants mais ferme à la barre, c’est vital. C’est sa dernière ligne rouge. Tout échec, comme avec Michel Joseph Martelly-Evans Paul, serait alors synonyme de transition. Inévitablement. Et comment ! Les fins de mandat sont bien souvent catastrophiques en Haïti. Le processus démocratique s’en voit compromis, qui repose sur le fracas des intérêts particuliers et par conséquent sur le mirage d’une espérance anti-despotique galvaudée. Les élections, me répétait souvent René Préval, c’est comme le carnaval. Suivez mon regard !

Beaucoup d’opposants et de groupes socio-économiques ont travaillé et travaillent pour empêcher la tenue d’élections avec l’actuel pouvoir afin de bloquer un probable retour de Michel Joseph Martelly à la présidence. Spirale de la déchéance. Vertige de la haine et du suicide collectif. Tout a été déjà fait en ce sens. Tout ? Manifestations violentes, « pays lock », insécurité gratis ti chéri. A l’outrance verbale succède la violence indiscriminée, gratuite même. Et à l’aveuglement, le dialogue de sourds. Pas d’élections sans dialogue inter-haïtien ! Les vieilles recettes de la politique du pire sont là. Avec une virulence inégalée. C’est pourtant bien ce qui pourrait ressurgir à tout moment. Sous d’autres formes. Et le temps qui est un facteur incontournable joue en défaveur du président en fonction dont la situation actuelle – après la mise en place d’un « gouvernement d’union nationale » déjà fustigé par l’opposition, toutes tendances confondues – est loin d’être confortable. Un président contesté qui a survécu à tant d’assauts, par définition, ne peut plus être qu’un blessé de guerre, pris dans un engrenage infernal, sans limites. Le lien entre la durée du mandat présidentiel et les échéances électorales est donc crucial : l’intensité des défis accroit la faiblesse et l’impopularité des décideurs. On a connu cela à de nombreuses reprises dans notre Histoire. Concernant – par exemple – le problème complexe du syndicat de la PNH, tout responsable avisé et froid doit d’abord recueillir toutes les données y afférentes avant de se prononcer. Il n’est d’ailleurs pas très sage pour un pilote sans indications de s’engager, vitesse au plancher, sur un chemin de traverse. C’est un dossier explosif aussi bien que le dossier du scandale PetroCaribe qui a bonne presse. Dans tous les cas, le procès (virtuel) PetroCaribe est au cœur des mouvements de contestation anti-Jovenel Moïse, assurément l’écho et l’ampleur que lui donnent la presse et les réseaux sociaux en font un sujet phare. De quoi nourrir un fort sentiment de colère, de suspense et de confusion créant ainsi un climat délétère. Si en prime, on passe à une période de rupture/discontinuité politico-électorale, il est inéluctable que la fièvre des Petrochallengers monte inexorablement.

Sans accord politique ni sécurité, l’ambition électorale suprême est chimère dans ce pays ruiné et fatigué après tant de violences dévastatrices suivies désormais par une insécurité épouvantable que – rappelons-le à dessein – le gouvernement Michel Joseph Martelly/Laurent Salvador Lamothe avait fini par freiner avec un certain succès. Nous sommes habitués au suicide collectif et aux protagonistes du chaos. Quoi qu’il en soit, les conséquences pour le pays – surtout pour la mouvance PHTK et ses alliés – seront dramatiques. Elles aussi discréditées et affaiblies, les oppositions anti-pouvoir, plus particulièrement anti-tèt Kale, n’ont cependant pas toutes les cartes en main dans leur entreprise de démolition. Aujourd’hui tout recommence à l’identique, comme par le passé. Mêmes causes, mêmes effets ; une nouvelle crise électorale, alimentée par nos folies meurtrières et nos dissensions d’enfants turbulents, nous attend : on ne refait pas l’histoire … du passé. Mais celle de demain ?

Pierre-Raymond DUMAS

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