[Première partie publiée dans l’édition du vendredi 27 avril 2018]
Le projet gonâvien du président Dumarsais Estimé comprenait aussi des travaux d’infrastructures routières. La première percée reliait Anse-à-Galets/Etroits/Nan-Café/Plaine-Mapou/Lotoré. Elle allait toucher Pointe-à-Raquettes quelques temps plus tard. Le sentier originel a été transformé en une route en terre battue de près de 2 mètres de largeur. D’autres voies de pénétration ont été ouvertes. Un budget de 100 mille gourdes a été alloué au chantier.
Des proches du pouvoir, dans leurs récits de voyage à La Gonâve, avaient vanté la réalisation de ces travaux d’infrastructures routières. Presqu’à l’unanimité, ils ont tous pensé à la nécessité d’amorcer le développement de cette partie du territoire haïtien. Les idées des uns et des autres, posées sur l’île, pouvaient être résumées en ces termes : développement agricole, fourniture d’eau potable, construction de routes et d’écoles, assainissement des villages et transformation des fermiers en propriétaires des parcelles qu’ils exploitaient.
Le passage sur l’île de ces hommes du pouvoir avait attisé l’espoir placé par la population gonâvienne dans le gouvernement issu du renversement politique de 1946. A titre d’illustration, l’on peut faire référence à cette délégation qui avait visité, dans la journée du dimanche 10 novembre 1946, les villages d’Anse-à-Galets, des Etroits, de Nan-Café et de Grande-Source. Elle était composée du sénateur Jean Placide David, de Dupuy S. Théano, Ulrick C. Mathieu, Sanon Théano, Edner C. Jean-François Day, Antoine Théano, William Bertin, Max Théano, de Pierre Blain et de Jacques, ainsi nommé.
Construction d’un asile pour les démunis
Il était inscrit dans ce programme la construction à l’Anse-à-Galets de deux halls pour héberger les fous, les mendiants, les sans-abris déguenillés, haillonneux rencontrés çà et là à Port-au-Prince. Le gouvernement voulait éviter que les délégations étrangères, les touristes ne tombent sur ces « citoyens indésirables » à l’occasion de l’Exposition internationale qui devait marquer la célébration grandiose du bicentenaire de fondation de Port-au-Prince. Sur ce plan, la décision du gouvernement de Dumarsais Estimé a été motivée par le besoin sous-jacent de nettoyer la capitale de ces gens, fauchés comme les blés, qui marchaient d’un air hagard sans un sous vaillant à travers les rues de la cité. Le pouvoir avait trouvé le moment opportun pour aménager un lieu où ces déshérités de la vie pouvaient évoluer dans un minimum cadre de vie acceptable tout en se soumettant aux principes de la métamorphose sociale devant leur permettre de recouvrer leur humanité pleine et entière autant que leur dignité par le travail de la terre. En ce sens, plusieurs ont été embrigadés dans les équipes chargés de l’amélioration des chemins vicinaux.
Par la suite, ces bâtiments allaient servir à l’hébergement d’un centre de formation professionnelle fondée 1975 par le Service Chrétien d’Haïti, et le Lycée national de la Gonâve fondé en 1987. Une annexe de l’Ecole Sainte-Bernadette avait fonctionné des années durant dans une autre construction de petite taille placée entre les deux grands bâtiments.
La Gonâve, Dumarsais Estimé et après
Tout compte fait, Dumarsais Estimé reste le seul chef d’Etat haïtien à avoir tenté l’exécution d’un tel programme à la Gonâve. Les activités initiées n’ont pu être consolidées à cause d’un certain nombre de contrariétés d’ordre politique et financier auxquelles le pouvoir de 46 a dû se colleter. En sus, elles n’ont pas été reprises, multipliées et amplifiées par les autres pouvoirs. Durant le gouvernement de Paul Eugène Magloire – successeur agressif de Dumarsais Estimé – dans la tête de beaucoup d’habitants de la « grande terre », l’île était de nouveau assimilée à la terre des bigailles, terre de refuge pour les vagabonds, pour les miséreux venus des petites villes côtières et des quartiers populaires de Port-au-Prince. On recommençait à parler de façon abrupte du « Pénitencier agricole de La Gonâve ». En fait, beaucoup de gens, de gré ou par la force des choses, se sont installés sur l’île dans l’idée se faire oublier, soit des autorités politiques, policières et judiciaires ; soit des ennemis de voisinage qui en voulaient à leur vie. D’autres y allaient pour, autant que faire se peut, panser les blessures de la vie.
Dans le sillage de Dumarsais Estimé, le président Jean-Claude Duvalier avait fait aménager un port à l’Anse-à-Galets, construire le premier petit réseau électrique de l’île. Plus rien de plus parlant. Plus récemment, le programme « Gouvènman an Lakay ou » de l’ère Martelly/Lamothe avait contenté quelques naïfs qui n’avaient pas bien compris son surplomb de communication politique, donc son maquillage électoral. Et de fait, le retrait forcé (momentanément ?) de Laurent Lamothe de la scène politique, la contrariété subséquente de son projet de candidat à la magistrature nationale ont fait le sort le plus mauvais à ce programme phosphorescent, sonore et budgétivore. La Caravane du Changement, sous la conduite de Jovenel Moïse, un jour, pourrait accoster les côtes de La Gonâve, MAIS AVEC QUELS PROJETS PORTEURS?
Idson Saint-Fleur
saintfleuri14@yahoo.fr