Éditorial

La pédagogie du quinquennat

Ne pas tenir le langage du dialogue inclusif et lucide, ou n’en pas voir l’utilité, c’est avouer que l’on n’a rien à construire ou à corriger, donc rien à proposer ou à souhaiter de façon consensuelle, que l’on n’a rien à faire pour éviter le pire, donc rien à dire afin d’apaiser le pays, que l’on ne pense rien de bon dans l’intérêt de tous, donc qu’on ne pense tout simplement pas avec un certain sens de l’objectivité.

Un discours de paix ou de réconciliation ne doit même pas être diffusable sous le manteau. Même pas avouable, fût-ce à un seul secteur. Il faut penser au pays et à son avenir.

Un discours de paix qui se respecte ne peut être que transpartisan. L’objectif de concorde nationale s’annonce lointain, tant les positions des uns et des autres se sont crispées au cours de ces derniers mois. Cette polarisation n’est pas due seulement à la conjoncture mais aussi à une culture mortifère et non-coopérative multiséculaire.

Les positions raisonnables qu’on défend de son vivant, si osées, si provocantes qu’elles paraissent, ne sont que des actes de courage. Pour en finir avec ce monde de passions démesurées et de conflits destructeurs où l’intolérance et le manichéisme trônent en jumeaux, il est nécessaire d’instituer des relais de concertation et de gestion des différends entre les divers secteurs et groupes de la vie nationale. Cela en vue du bien de tous.

Tenter d’initier une certaine pédagogie du respect du quinquennat du président Jovenel Moïse pressuré et « diabolisé » bien avant son investiture par ses adversaires, c’est démontrer qu’on connaît exactement les limites de ce que peut supporter la société haïtienne actuellement en proie à l’instabilité la plus désastreuse : c’est donc connaître cette société si divisée et c’est l’essentiel. Impossible d’oublier qu’existe cette folle atmosphère de quasi-guerre civile, ou ce crépitement de peur généralisée et permanente, en arrière de l’impuissance des victimes innocentes de cette lutte atroce pour le pouvoir qui a débouché jusqu’ici sur un jeu (dévastateur hélas) à somme nulle.

2017 – 2019, ce sont donc trois années de troubles et de manifestations violentes, avec leurs pertes en vies humaines, leurs pertes d’emplois, leur fermeture d’entreprises, leurs nombreuses journées d’écoles perdues, leur fuite de cerveaux et de capitaux, puisque le dialogue et le consensus ne se sont pas imposés en lieu et place du « pays lock » faute d’interlocuteurs constructifs et de protagonistes soucieux du bien commun. Comme dans les précédentes crises, il est beaucoup question ici de démission du président démocratiquement élu et de transition de rupture ou refondatrice, bref, de table rase et de « rupture avec le système ». Mais il y est question aussi de l’ingérence étrangère, de la Conférence nationale (souveraine), de la réforme constitutionnelle ou d’une nouvelle Constitution, du procès PetroCaribe (donc de la reddition des comptes et de la lutte contre la corruption), de la prolifération des gangs armés (expression décadentielle d’un pays en ruines, menacé d’éclatement explosif), etc.

A partir de là, ce qui reste à comprendre et à imaginer, c’est : de quoi seront faites les deux dernières années du mandat du président Jovenel Moïse ? Rien n’est statique ni sûr en politique. Promouvoir l’inclusion et l’idéal du vivre-ensemble dans leurs moindres recoins, sous toutes leurs formes, afin d’arriver pacifiquement à l’émergence d’une société stable et prospère, tel devrait être l’objectif primordial de tout Haïtien. Ce sur quoi je n’ai pas encore buté, parce que je suis trop attaché aux principes de tolérance et de compromis, d’ouverture et d’apaisement, c’est sur le corollaire de ce constat : les Haïtiens, en ces temps si épouvantables, n’ont pas d’autre choix raisonnable, d’autre alternative pacifique que de trouver une entente – même minimale avant ou après le deuxième lundi de janvier 2020 qui, faute d’élections législatives pour renouveler la Chambre des députés et compléter le Sénat, entraînera le dysfonctionnement du Parlement. A condition précisément de trouver un accord « largement large » ou crédible pour former un gouvernement fonctionnel capable de faciliter la tenue des élections dans un climat de sérénité, de ne pas essayer de séparer les versants apparemment contradictoires, les faces incompréhensiblement solidaires et irréconciliables d’un même projet, celui de rassembler dans leurs détails les préoccupations du pouvoir et les revendications de l’opposition en une synthèse conciliatrice. Improbable accord ? C’est pourtant l’avenir immédiat du pays qui se noue là, sans que personne s’en doute, entre Nationaux et nos chers pays amis (notamment les Américains) à cause de notre immaturité de peuple (belliqueux).

Il faut un véritable sursaut national pour sortir du cercle infernal de l’affrontement inter-haïtien, érigé en modèle politique de conquête, d’exercice et de transmission du pouvoir. Je me demande si on n’a jamais vraiment pris la mesure de l’événement regrettable qu’a pu être le départ précipité, en février 2004, du président Jean-Bertrand Aristide pour l’exil. Une véritable catastrophe ! Moi, au nom du respect de l’alternance démocratique à travers des élections régulières et non des comparaisons para-constitutionnelles, j’étais de ceux qui s’étaient opposés publiquement à ce « kidnapping » préconisé par le mouvement des 184, entre autres.

Pierre-Raymond DUMAS

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