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L’Exposition internationale du bicentenaire de Port-au-Prince
A l’occasion du salon de la philatélie haïtienne qui a débuté à la fin du mois de septembre 2022 et qui prendra en juillet 2023, Dubicart Gallery qui partage avec le public les timbres postaux immortalisant l’exposition internationale du bicentenaire de Port-au-Prince nous fait part de ce texte du Docteur Weibert Arthus pour qui cette belle fête, l’Exposition internationale de Port-au-Prince, est une occasion ratée. Cette galerie qui associe l’art à l’internet, en collaboration avec Juno7, retourne à la source pour rafraichir la mémoire.
Par Weibert Arthus, docteur en histoire
De décembre 1949 à juin 1950, Haïti organise une exposition internationale dans le but de commémorer le bicentenaire de sa capitale. L’invitation est lancée à tous les pays amis et institutions dont Haïti est membre à participer à cette belle fête. Au départ, il y avait quelques hésitations dans les chancelleries des pays conviés. Mais à mesure que s’approchait la date du lancement de l’événement, il devenait évident que le président d’Haïti veut faire quelque chose de singulier et de grandiose. Et qu’il s’en donnait les moyens.
Dix-huit pays et une dizaine de firmes et d’institutions internationales décident alors de prendre part à l’évènement, pour deux grandes raisons. D’abord, ils se rendent compte que l’exposition projetée va contribuer à leur prestige sur le plan diplomatique. Ensuite, il est clair, pour les entreprises et les agents culturels, que l’exposition aura un retentissement dans les pays du golfe du Mexique et de la mer des Antilles.
Le président Dumarsais Estimé donne lui-même le coup d’envoi, en mars 1948. La première étape consiste à aménager un vaste espace au bord de mer de la capitale pour hébergercette exposition internationale. Le mois suivant, un communiqué du gouvernement présente les grandes lignes du projet : « Entre l’hôtel de ville et l’avenue Franklin D. Roosevelt, sur une étendue d’environ 30 hectares en bordure du rivage, va s’ériger une Exposition culturelle, artisanale, artistique, folklorique, commerciale et industrielle qui comportera différentes sections où seront construits des palais définitifs pour loger certains services de l’administration publique, les pavillons étrangers, les pavillons de l’industrie, un spacieux théâtre en plein air, un village lacustre et un parc d’attractions. Un boulevard de fond de mer de 42 mètres d’emprise totale et des trottoirs de 5 mètres de chaque côté longeront le littoral. La ligne de quai débordant le boulevard s’étendra sur une distance de 800 mètres. »
Les travaux commencent à l’été 1948. Des milliers d’ouvriers sont à pied d’œuvre de jour comme de nuit. Vers mars 1949, la beauté des lieux commence à se manifester avec la mise en terre de 1 130 cocotiers, par bouquets de quatre, et différentes variétés de cannas et autres plantes tropicales. Après 18 mois de travaux, le bord de mer de Port-au-Prince est fin prêt pour recevoir l’Exposition internationale.
Pas de meilleur guide que l’historien de Port-au-Prince, Georges Corvington, pour nous faire visiter les lieux : « Partant du pavillon du Proche-Orient, place de l’Hôtel de ville, on longe par le boulevard, le pavillon du tourisme, le pavillon d’Italie, celui du Venezuela qui fait face à la place des Nations-Unis, elle-même dominée par un palais d’une noble architecture, le pavillon d’Haïti. Cette place est décoréed’une monumentale fontaine lumineuse, une des plus grandesdu monde, ornée des naïades dessinées par Pierre Bordelle. On côtoie ensuite le pavillon du Mexique, celui des États-Unis d’Amérique, et après avoir contourné le rond-point de la liberté, on parvient à la section des pavillons industriels comprenant l’Hôtel Beau-Rivage, le pavillon de la petite industrie et de la céramique, le pavillon des travaux à l’aiguille, le pavillon des meubles et de l’ameublement, pour aboutir au parc des Palmistes sillonné de canaux et peuplé de constructions légères et pittoresques, reflétant l’art indigène. À côté du pavillon de l’Agriculture, un spacieux théâtre à ciel ouvert occupe un emplacement considérable au milieu des palmiers. Voisin du miroir d’eau, le pavillon des Beaux-Arts, abritant le Musée du Peuple haïtien, puis le parc d’attractions… À la façade ouest de l’Hôtel de ville a été dressé un autel orné du bicolore haïtien et des emblèmes des pays participants et surmonté d’une grande croix. »
L’Exposition est inaugurée le 8 décembre 1949. Voici un récit d’un quotidien de l’époque, Haïti Journal : « A 3heures 30, le président Estimé descend de voiture devant la Tour de l’Exposition. Les honneurs militaires lui sont rendus par la force armée composée des compagnies de la Garde du Palais, des Garde-Côtes d’Haïti, des marines et marins du transport américain arrivé la veille. […] On s’installe à une tribune d’honneur pour assister à la parade de l’armée. Différentes compagnies haïtiennes et américaines défilent. Quand vinrent à passer côte à côte les drapeaux des deux nations, la foule ovationna. […] Une formation aérienne de 9 unités, dont des forteresses collantes B29 de l’aviation américaine, survola très bas la cité Dumarsais Estimé, sous les applaudissements de l’immense assistance. […] Le Théâtre des verdures est inauguré dans la soirée du 10 décembre par un brillant gala de la Troupe Nationale Folklorique. Cadre majestueux que celui de ce théâtre en plein air, pourvu d’une scène de 22 mètres à 3 plates-formes de 5 mètres chacune, avec comme toile de fond, le jeu d’orgue des palmiers et les pentes agrestes du morne l’Hôpital. »
Les pavillons internationaux sont inaugurés le 12 février 1950. À cette occasion, une centaine de marins français défilent à terre avec un bataillon haïtien précédé de sa fanfare. De nombreuses nations du continent américain (États-Unis, Canada, Venezuela, Cuba, Argentine, Mexique, Chili, Panama, Uruguay), certains pays du Proche-Orient (l’Égypte et le Liban) et plusieurs nations d’Europe (France, Belgique, Espagne, Italie) y sont représentés. Le Vatican figure parmi les exposants. C’est la première participation du Saint-Siège à une exposition internationale. L’Union Panaméricaine (OEA), l’ONU et l’UNESCO ont aussi leur pavillon.
Le pavillon français est inauguré deux jours plus tard, le 14 février 1950. Depuis le 6 février, le croiseur-école français Jeanne d’Arc a jeté l’ancre dans la baie de Port-au-Prince. Il s’agit d’un navire de guerre particulier, un croiseur-école d’application où l’école navale poursuit sa mission de formation durant les croisières. Avec 30 officiers et 130 officiers-élèves à son bord, le Jeanne d’Arc prend place entre les imposants navires américains. Ces derniers ont été dépêchés dans le port de la capitale depuis la fin de décembre pour participer aux célébrations. La délégation française estdirigée par Gaston Monnerville, président du Conseil de la République. Il est accompagné des préfets de la Guadeloupe et de la Martinique ainsi que des évêques de ces deux îles. Au total, 137 exposants venus de France prennent part à l’exposition.
Il était prévu que l’exposition durerait six mois. Chaque soir, sauf quand la pluie se met de la partie, la ville et ses visiteurs voient défiler les plus grands artistes haïtiens et étrangers de l’heure. Des spectacles en groupe ou en solo, tousstyles confondus, font vibrer le Théâtre des Verdures. Rien ne manque au menu : de la musique classique, du jazz, du folklore, du théâtre, des feux d’artifice. Les cultures des Amériques, de l’Europe, de l’Afrique et de la Caraïbe se rencontrent ainsi à Port-au-Prince. La ville n’a jamais été aussi belle.
Georges Corvington a recréé, dans les termes suivants, le quotidien de la Cité de l’Exposition : « Le secteur des palmistes où étaient concentrées la plupart des grandes attractions offrait, dès le crépuscule, un tableau enchanteur, avec cette affluence cosmopolite en quête de plaisirs, déambulant à travers les allées sablées, dans l’entrecolonnement des beaux palmiers aux troncs puissants et élancés. Il y avait là l’Aquarium, immense réservoir à parois de verre où évoluaient paisiblement des échantillons rares d’animaux aquatiques, le pavillon de l’Agriculture où l’on pouvait s’approvisionner en confiserie, en pâtisserie, en charcuterie, en provisions agricoles sélectionnées, et le soir, danser au son d’un des nombreux jazz de la capitale. Il y avait pour les fines bouches le pavillon de Simone, limitrophe du Théâtre de Verdures, et pour les fanatiques de jeu, le Casino flottant ancré tout près de la rade, en face des palmistes, ou l’arène du Coq d’Or où l’on pouvait miser sa chance sur d’intrépides gallinacés et ensuite exécuter un ou deux rondes si le cœur vous en disait. »
L’Exposition internationale n’est pas exclusivement une période de fête. Ce n’est pas non plus que du carnaval à gogo. Elle a aussi offert une occasion aux participants de faire connaitre les réalisations de leur pays en matière d’éducation, de culture et de technologie. Les domaines privilégiés étaientles suivants : enseignement général et professionnel, organisation sanitaire et lutte contre les maladies, créations culturelles, diffusion d’ouvrages scientifiques, médicaux et techniques, transports (routier, ferroviaire, maritime et aérien), agriculture (laboratoires et plantations pilotes), équipement industriel (travaux hydroélectriques, ponts, chemins de fer), échanges économiques et courants commerciaux, recherche scientifique, modernisation et urbanisme. Comme le souligne le commissaire français, ces réalisations ont été mises en évidence de manière à la fois instructive et attrayante. Toutes les techniques modernes ont alors été mises à contribution : maquettes, diaporamas, graphiques, diagrammes, panneaux statistiques, montages photographiques, projections de films éducatifs et documentaires.
Le 10 mai 1950, alors que l’Exposition internationale continuait d’attirer de plus en plus de touristes et, avant même la date exacte marquant le bicentenaire de Port-au-Prince, le général Paul Eugene Magloire orchestre un coup d’État contre le président Dumarsais Estimé. N’est-il pas judicieux d’affirmer que l’instabilité politique est notre meilleur ennemi ?