Éducation

Luc Paul Déplat, un éducateur engagé au service de sa communauté depuis plus de 40 ans

Si le système éducatif haïtien ne figure pas parmi les meilleurs dans le monde, ce n’est pas par faute d’avoir des femmes et des hommes qui ont dédié leur vie à en réparer les tares. Luc Paul Déplat, co-fondateur de cinq établissements scolaires en Haïti, s’y consacre depuis plus d’une quarantaine d’années.

Né à Marmelade, il y a 75 ans de cela, Luc Paul Déplat est un de ces « mapou » qui a consacré sa vie au service des autres, plus spécifiquement dans le domaine de l’éducation. Lorsqu’on lui demande la raison de ce choix, il avance : « Je n’ai pas choisi de faire carrière dans l’éducation. J’ai une vocation. Quand on est choisi, l’on est un missionnaire, un envoyé.»

Tout a commencé à l’adolescence. Faute de structures éducatives dans sa section communale, le jeune Deplat était obligé de passer les neuf mois de l’année scolaire dans le bourg de Marmelade, loin de ses parents. Mais à chaque fois qu’il y revenait pour passer les vacances, il avait l’habitude de partager son savoir avec les jeunes et même les adultes.

Alors qu’il entre à Port-au-Prince en 1966 pour chercher du travail, le jeune homme fait la rencontre de Monseigneur Emmanuel Kébreau, son futur père spirituel. « Cette rencontre allait changer ma vie, concède-t-il. C’est lui qui m’a mis en contact avec l’idéologie franciscaine ». Ainsi de 1974 à 1978, il fréquente l’Institut Pastoral de l’archevêché de Port-au-Prince et y étudia la trilogie Liturgie-pastoral-catéchèse. « Cette formation m’a donné l’habileté et les compétences nécessaires pour jouer un rôle de responsable dans la société », soutient-il.

Son amour pour l’enseignement allait l’amener à fonder, avec trois autres collaborateurs, une école du soir pour adultes à Frère Polycarpe en 1978. « À la fin de nos études à l’Institut Pastoral, nous avons été engagés comme professeur à Frère Polycarpe. Nous y avons organisé une école du soir pour adultes analphabètes», raconte-t-il. Cette expérience a été plutôt fructueuse malgré les embûches. Chaque année, les participants affluaient, le centre d’alphabétisation était obligé de changer de local tout le temps.

Une institution avec cinq écoles au service de la communauté depuis 1980

M. Deplat est l’un des principaux fondateurs de l’Institution Franciscaine d’Haïti (IFD’H) qui regroupe cinq établissements scolaires à Port-au-Prince. L’IFD’H compte actuellement près de 2000 élèves et 250 employés. D’ailleurs, sa rencontre avec l’éducation est « la plus belle expérience qu’il a jamais faite dans sa vie ». « J’ai découvert que l’éducation est un grand moyen de développer un pays », souligne-t-il.

Ainsi, entre 1980 et 1993, des institutions comme Sainte-Claire d’Assise, Sœurs Franciscaines, les collèges Jean-Paul II et Frères Franciscains ont vu le jour. Le choix de ces noms est idéologique, selon les explications du responsable. « Dans la vie, il faut avoir une philosophie, une idéologie. Mais la plus grande que l’on peut suivre est celle de Jésus-Christ, croit-il. Et la plus belle idée qu’a suivie François d’Assise est celle du Christ. C’est pourquoi je suis son modèle de vie.»

Avec ces institutions, M. Deplat met en pratique ce qu’il appelle « bâtir l’espérance ». Une expression empruntée à un cardinal italien qui, lors d’une homélie en 2003 à Port-au-Prince, avait déclaré que les Haïtiens avaient quatre principaux choix pour vivre : corruption, exil, violence, résignation. Le prélat avait néanmoins préconisé une cinquième voie : « bâtir l’espérance ». « Moi, j’ai opté pour cette dernière. C’est ce qui explique que je me bats toujours dans mon pays au lieu d’immigrer», affirme-t-il.

Un modèle de vie inspiré de Saint-François d’Assise

Catholique pratiquant dès son plus jeune âge, M. Déplat a appris assez tôt qu’il était né pour servir et non être servi, à l’image de François d’Assise, le patron des opprimés et des pauvres. « Si je suis cette personne aujourd’hui, c’est parce que j’ai lu Saint-François d’Assise, un homme provenant d’une riche famille et qui a mis tout ce qu’il possède au service des pauvres. C’est de lui que j’ai appris qu’il faut chercher à servir et non à être servi, aimer et non à être aimé, chercher à comprendre et non à être compris », confie-t-il.

Conscient des maux dont souffre son pays, M. Déplat s’investit à fond quand il s’agit de valoriser et d’aider les gens à améliorer leurs conditions de vie. En dépit du fait qu’il soit marié et père de trois enfants, cela ne l’empêche de se donner entièrement dans cette mission. « Mes enfants ne sont pas une charge ni une idole pour moi. C’est ce qui me permet de me consacrer à autrui », déclare-t-il. Et aujourd’hui, il se dit fier d’avoir contribué à changer la vie de bon nombre de jeunes haïtiens. Libres aujourd’hui, dit-il, grâce à l’éducation.

« M. Déplat est un modèle à suivre pour la jeunesse haïtienne », estime Me Paules Junior Dazema, son plus proche collaborateur. Pour argumenter ses propos, le directeur administratif de l’IFD’H fait appel à l’historien Michel Soukar : « L’Haïtien ne sait pas comment honorer ses véritables saints, faute de quoi il béatifie ou canonise les premiers aigrefins qui arrivent [..]».

Me Dazema qui côtoie le personnage depuis une vingtaine d’années estime que la société haïtienne devrait déjà l’honorer, pour son travail. « Quelqu’un qui aide l’État haïtien en embauchant près de 250 personnes, qui octroie des bourses d’études aux plus vulnérables, mérite plus qu’une plaque d’honneur, plaide le responsable. Or, la société haïtienne reste indifférente vis-à-vis de tel personnage »

Filleul et camarade de lutte de Leslie François Manigat

Luc Paul Déplat s’est retrouvé à un moment de sa vie très impliqué dans la vie politique de son pays. Il a d’ailleurs été très proche de Leslie François Manigat qu’il a rencontré en 1984. « Manigat était en exil au Venezuela. Dans le cadre de ses relations avec les autorités de ce pays, il avait envoyé chercher de jeunes Haïtiens pour venir se former», raconte-t-il. Leur relation allait se renforcer lorsque le fondateur du Rassemblement des Démocrates Nationaux Progressistes (RDNP) est revenu d’exil en 1987. Ils étaient devenus si proches le professeur Manigat a été le témoin de son mariage en 2000.

Très dévoué au RDNP, le natif de Marmelade raconte qu’il a même vendu sa maison pour aider au financement de la campagne électorale du parti en 1987. « À l’époque, je résidais à l’avenue Christophe, j’étais en loyer mais j’avais une maison en construction. Je l’ai vendue parce le parti avait besoin d’argent pour faire campagne », se souvient-il. Cette proximité avec le RDNP et Leslie F. Manigat l’a également propulsé à la tête du Directoire National Unitaire (DNU), l’organe du parti chargé de faire la liaison entre la base et le directoire du parti.

Une coopérative pour soutenir les employés de l’IFD’H

Face aux défis financiers auxquels sont confrontés les employés, M. Déplat et ses collaborateurs ont décidé en 2012 de mettre sur pied une mutuelle, appelée FOSIFH (Fonds de Solidarité de l’Institution Franciscaine d’Haïti). « Lorsqu’un collaborateur a besoin d’un prêt, soit parce qu’il est tombé malade ou qu’il a besoin de voyager et qu’il s’adresse à une institution financière comme la banque, on va lui demander un avaliseur, des garanties, un tas de choses qu’il n’a pas. C’est là qu’intervient le FOSIFH. Le collaborateur aura accès à cet argent dans deux ou trois jours », détaille-t-il.

Mais les responsables de l’IFD’H ne comptent pas s’arrêter là. Ils travaillent afin que cette initiative soit ouverte aux parents également. “Aujourd’hui, à cause de la situation socio-économique du pays, la plupart des parents n’ont plus les moyens de subvenir aux besoins de leurs enfants, voire payer leurs études. Mais nous voulons éviter que l’argent soit un obstacle à l’apprentissage. C’est notre plus grande préoccupation et notre plus grand projet actuellement”, affirme-t-il.

On n’avance pas sans être accompagné (e)

Pour M. Déplat, le défi majeur auquel fait face la société haïtienne aujourd’hui est d’ordre éducatif. « Ce que j’entends par problème d’éducation est l’indifférence vis-à-vis du prochain, explique-t-il. L’on ne se sent pas responsable de l’autre. Or, dans cette vie, pour avancer il faut apprendre à vivre ensemble pour mieux vivre.»

Et le septuagénaire n’est pas avare lorsqu’il s’agit de faire l’éloge de ses collaborateurs, ceux qui l’ont soutenu tout le long de son parcours. Lui-même affirme avoir été pris en charge dans sa jeunesse par des cadres de l’église catholique dont Frère Hubert de Saint Louis de Gonzague, le révérend père Jean-Claude Lespinasse. C’est ce qui le motive encore plus à aider les autres. « L’on m’a accompagné, orienté et appris à vivre avec autrui. Aujourd’hui, je n’ai pas d’autre choix que d’agir de la même manière », souligne M. Déplat.

Le séisme du 12 janvier 2010 a mis l’IFD’H à genoux. Suite aux nombreuses pertes subies, l’institution a trouvé recours auprès du Père Joseph Désiré. « Il a accueilli et hébergé nos élèves et nos professeurs. Nous aurions dû faire nos valises trois ans après mais nous y sommes depuis 11 ans, raconte-t-il. C’est pourquoi je dis tout le temps aux gens qu’on ne saurait évoluer ou avancer sans accompagnateur ».

Outre l’octroi habituel de prêts à l’IFD’H depuis sa fondation, la Caisse Populaire Sainte-Anne (CPSA), qui partage un mur mitoyen avec Saint-Claire d’Assise, est également venue à la rescousse de l’institution après ce douloureux épisode de l’histoire du pays, selon les témoignages du responsable.

Si l’IFD’H tient encore debout aujourd’hui, c’est aussi grâce aux collaborateurs dévoués de M. Deplat notamment Paul Dicks (vice-président de l’institution), Federme Deplat (comptable), Willine Phillipe (administratrice). Mais surtout Paules Junior Dazema, coordonnateur général de l’institution. Lorsqu’en décembre 2016, des soi-disant propriétaires ont pris possession « manu militari » du local du collège Frères franciscains, la survie de l’institution était menacée. C’est cet avocat de profession qui, par son leadership et son dynamisme, a empêché l’institution de disparaître.

En dépit du poids des années et des coups bas, M. Déplat est toujours présent dans l’organisation. Et même s’il ne s’occupe pas d’une tâche particulière, il se voit comme un conseiller général, un père, un soutien pour tous ceux qui travaillent dans ces institutions et les fréquentent, même les parents. D’ailleurs, un collaborateur lui a déjà signalé qu’il se chargeait trop des fardeaux des élèves et de leurs parents. (Vous comprendrez qu’il s’agit bien plus d’une qualité qu’un défaut !)

Emmanuel Pucot Paul

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