Selon Alicia Bárcena, Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), nous vivons un changement d’époque. La révolte de plusieurs peuples à travers l’Amérique Latine et les Caraïbes démontre que « le temps de l’égalité et d’un nouveau modèle de développement est arrivé ». Pour elle, la région doit urgemment « s’engager dans une rupture civilisatrice, reformulant des pactes sociaux avec une large participation des citoyens et une vision à moyen et long terme.»
Le 24 octobre dernier, le monde a commémoré le 74e anniversaire de l’entrée en vigueur de la Charte des Nations Unies en 1945. « La Journée des Nations Unies nous offre l’occasion de réaffirmer les idéaux énoncés dans la Charte des Nations Unies, qui jour pour jour est entrée en vigueur il y a de cela 74 ans. En cette époque de tumulte généralisé, la Charte reste notre point de repère », a déclaré António Guterres, Secrétaire général de l’ONU.
Pour Alicia Bárcena, Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC), cette Charte représente « l’effort multilatéral le plus coordonné que le monde ait jamais entrepris en vue de la résolution pacifique des conflits, du développement et du bien-être de tous les peuples », a-t-elle écrit dans un éditorial publié sur le site de la CEPALC.
Mais, aujourd’hui, alors que les peuples se révoltent à Hong Kong, au Chili, en Équateur, en Haïti, en Bolivie, en Algérie et au Liban, « il est plus urgent que jamais de réaffirmer que l’égalité doit être le moteur du développement régional et de la stratégie visant à combler les écarts structurels qui se sont creusés en Amérique latine et dans les Caraïbes », précise-t-elle.
Pour la Secrétaire exécutive de la CEPALC, « nous vivons un changement d’époque, un changement qui exige une transformation de notre modèle de développement fondé sur le renforcement de la démocratie, des droits de l’homme, du multilatéralisme, de la paix, de l’égalité et de la durabilité ».
L’Amérique latine et les Caraïbes continuent d’être la région la plus inégalitaire au monde. Bien que la première décennie de ce siècle ait été marquée par des progrès en matière de réduction de la pauvreté et de l’inégalité des revenus, de nombreuses lacunes doivent encore être comblées.
Selon la CEPALC, au cours de cette deuxième décennie, les déficiences structurelles sont devenues plus criantes que jamais en termes de productivité, d’extractivisme, d’évasion fiscale, d’abus et de corruption. Les gouvernements ont opté pour des mesures d’austérité prévoyant des réductions des dépenses sociales et un faible investissement, tout en limitant les droits des travailleurs. Les abus sont devenus tellement répandus que le trafic d’influence parmi les acteurs économiques et politiques a émergé à travers le spectre idéologique.
« Il est donc nécessaire de renouveler la réflexion sur les inégalités, ainsi que les métriques. Nous devons mesurer la richesse et pas seulement la pauvreté, et intégrer les inégalités en matière de propriété et pas seulement les revenus », conseille Alicia Bárcena.
Au Chili, par exemple, avec un PIB par habitant de 25 000 dollars par an, la moitié des travailleurs perçoivent un salaire inférieur à 550 dollars par mois, et pratiquement tous les services – éducation, santé, médicaments, transport, électricité, eau, etc.- ont un impact sur les salaires. En termes de richesse, le 1% le plus riche de la population possède 26,5% de la richesse totale et les 10% les plus riches concentrent 66,5%, tandis que les 50% les plus pauvres n’accèdent qu’à un maigre 2,1% de la richesse du pays, rappelle la CEPALC.
La Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CEPALC) s’attend à ce qu’en 2019, la croissance économique de la région conserve sa tendance à la baisse, en raison d’un contexte international « aux prises avec les effets de la mondialisation et des nouvelles technologies, qui ont accru les inégalités au sein des sociétés », a noté le chef de l’ONU le 28 octobre.
La CEPALC prévoit 0,9 % de croissance du PIB d’Haïti cette année. Les prévisions de croissance de cette institution régionale sont légèrement plus optimistes que celles de la Banque mondiale qui avait prévu un taux annuel de 0,4 % pour Haïti en 2019 au début du mois de juin.
Face à de telles disparités, la Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes pense que « la culture de privilège qui caractérise la région doit être éradiquée, en s’attaquant aux exonérations fiscales et à l’évasion fiscale qui ne favorisent qu’une poignée de personnes. En clair, l’évasion fiscale représente un coût de 340 milliards de dollars par an dans la région (6,7% de son PIB).»
En ces temps mouvementés, mais aussi de potentiel renouveau, Mme Alicia Bárcena souligne que « l’égalité des sexes doit être soigneusement prise en compte car les femmes ont moins de possibilités de participer au marché du travail en raison de leur lourde charge de travail domestique non rémunérée. Leur taux d’activité professionnelle est inférieur de 24,2 points à celui des hommes. » Il faut également combler les lacunes dans les capacités humaines qui entravent le développement complet de tous et sont inefficaces: 40% des jeunes de 20 à 24 ans n’ont pas achevé leurs études secondaires et les inégalités ethniques persistent, ajoute-t-elle.
« Reconnaissons enfin que le modèle de développement dominant actuel est invivable et produit également un développement limité et faussé, pour trois raisons essentielles: parce qu’il engendre une croissance faible, parce qu’il génère et approfondit les inégalités et qu’il est destructeur pour l’environnement. Ce modèle de développement a suscité des attentes en matière de mobilité sociale et de progrès et, pour cette raison, son échec à cet égard a suscité une grande exaspération, une impatience et un désenchantement envers l’ensemble de l’establishment politique, en particulier parmi les jeunes », déclare Mme Alicia Bárcena.
Pour cette dernière, les inégalités sont inefficaces, elles se reproduisent d’une génération à l’autre et imprègnent le système de production. En revanche, l’égalité n’est pas seulement un principe éthique incontournable, mais aussi une variable qui explique l’efficacité à long terme du système économique. Nous devons reconnaître que les inégalités sont plus profondes et plus durables, inélastiques et résilientes que ce que nous pensons habituellement.
« Aujourd’hui, cette réalité déchaîne le mécontentement des peuples de notre région, ce qui exige que nous écoutions leurs voix et que nous élaborions des propositions de développement qui incluent tout le monde. Une nouvelle opportunité s’offre à la région pour s’engager dans une rupture civilisatrice, reformulant des pactes sociaux avec une large participation des citoyens et une vision à moyen et long terme », dixit la , Secrétaire exécutive de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes.
« Le temps de l’égalité et d’un nouveau modèle de développement est arrivé. Il est temps de reformuler les pactes sociaux et d’aller au-delà d’un modèle économique fondé sur la culture du privilège qui privilégie les intérêts privés, le capital sur le travail, l’accumulation sur la redistribution, la croissance sur la nature, les privilèges sur les droits, la différenciation sociale sur la péréquation, la hiérarchie relations horizontales », poursuit-elle.
« Aujourd’hui, l’ONU et la CEPALC doivent redoubler d’efforts pour élaborer des propositions fondées sur des données factuelles permettant de lever le fardeau de l’inégalité et de donner à nos peuples la dignité qu’ils méritent », conclu Alicia Bárcena.
Nancy Roc