De la régularisation définitive du statut des étudiants haïtiens en République dominicaine
Le Docteur Claude Joseph, Ministre des Affaires Étrangères et des Cultes, vient d’avoir en moins d’une semaine, soit les 9 et 15 juin derniers, deux rencontres en visioconférence avec des représentants.es d’étudiants haïtiens en République dominicaine. C’est un fait inédit dans l’histoire des relations haïtiano-dominicaines. L’ancien militant étudiant devenu chancelier demeure fidèle à son principe originel selon lequel la diplomatie haïtienne, là où elle s’exerce, doit être entre autres au service de la cause universitaire de la jeunesse du pays. On peut en dire ce qu’on veut, mais c’est une indulgence qui donne, à mon avis, de bonnes raisons d’espérer.
Pour avoir étudié en République dominicaine entre 2004 et 2008, je connais très bien les grandes difficultés auxquelles sont confrontés les étudiants.es haïtiens dans ce pays. On les peint souvent comme des privilégiés aux comportements méprisants vis-à-vis de leurs compatriotes travailleurs immigrants, mais ce n’est qu’une caricature. Au contraire, triste ironie de la vie, à l’instar des ouvriers, la majorité des étudiants haïtiens en République dominicaine serait en réalité en situation irrégulière ne détenant qu’un visa de visiteur à défaut d’un visa d’étudiant valide. Ainsi, sont-ils contraints, comme tout détenteur de ce type de visa dont le séjour régulier ne peut dépasser le délai de trente jours, de se rendre tous les mois à l’un des postes-frontières juste pour estampiller leur passeport et payer deux fois les frais de sortie et d’entrée des deux côtés de la frontière en plus de l’énorme perte de temps que représentent ces voyages pour le maintien d’un statut régulier qui n’en est pas un !
Précarité, irrégularité tolérée et régime inadapté
La situation précaire des étudiants ne leur permet pas de vivre commodément cette vie de touriste voyageur imposé par un régime de visa inadapté. De fait, tout le monde sait que la situation irrégulière des étudiants haïtiens en République dominicaine n’est tolérée que grâce à l’importance de l’apport économique de ces derniers au système universitaire dominicain tandis qu’il revient à eux, pauvres étudiants, d’assumer tout seuls les incommodités y relatives.
Évoluant dans un système universitaire qui fonctionne pratiquement sans bourse d’État et sans système d’exemption formel des frais de scolarité majorés pour étudiants étrangers, – mis à part la récente révision à la baisse par l’Université d’État (USAD) du coût des crédits pour les étrangers – , 93% de ces derniers ont uniquement leur famille comme source de financement et près de 80% de l’argent reçu de leurs parents, selon l’étude de Frank Ramirez D’Oléo, “Los estudiantes universitarios haitianos en la República Dominicana” (2011) et l’enquête de la Banque centrale dominicaine, Encuesta de Gastos de Estudiantes Extranjeros (2014), est absorbé par les dépenses académiques (44.3%), le loyer (18%) et l’alimentation (15%).
Toutefois, n’allez pas croire que c’est le prix à payer pour vivre le grand luxe. Si le loyer ne consomme pas une plus grande partie de leur budget, c’est qu’ils vivent généralement en colocation dans des conditions proches de la promiscuité extrême. En effet, suivant l’enquête de D’Oléo (2011), une maison louée par les étudiants haïtiens dans les villes de Santiago de los Caballeros et de Santo Domingo est partagée en moyenne par sept étudiants.
Faciliter l’adhésion des étudiants haïtiens à un statut migratoire qui les protège et les fait bénéficier des privilèges y relatifs c’est donc s’attaquer à la précarité qui les caractérise. Car, il faut bien comprendre que le système migratoire dominicain actuel, régi par la Loi générale de Migration 285-04 et son Décret d’application 631-11, n’est pas favorable aux étudiants haïtiens. Pour commencer, le visa d’étudiant qui est accordé pour une année ne correspond pas au temps d’étude conventionnel. Il est vrai que le Décret de 2011 permet six renouvellements consécutifs du visa, mais il exige dès le premier renouvellement l’obtention d’un carnet d’étudiant délivré par la Direction Générale de la Migration (art. 83. 5b, Décret 631-11) et le respect d’une série d’exigences toutes aussi surprenantes que farfelues telle que la preuve d’un billet d’avion de retour à son pays et ce, bien que le visa de renouvellement puisse être obtenu sur place à la chancellerie dominicaine (Articles 81-83, Décret 631-11). Pourtant, toute cette grotesque bizarrerie pouvait être épargnée sur la base de simples considérations logiques et pragmatiques.
Considérations générales en vue d’une régularisation raisonnable et systématique
Pour une solution définitive aux problèmes liés à l’irrégularité du statut des étudiants haïtiens en République dominicaine, la première chose est de combattre la tolérance de l’irrégularité qui est motivée par une fausse complaisance. Tout jeune haïtien désireux d’aller étudier en République dominicaine doit se munir d’un visa d’étudiant obtenu depuis Haïti pour une durée équivalente à celle du programme d’étude envisagé. Dans ce cas, en retenant parmi les critères d’éligibilité la preuve d’adhésion à un centre universitaire dominicain habilité à recevoir des étudiants étrangers, les universités concernées auront seulement à instaurer un système fonctionnel d’admission en ligne.
Par ailleurs, si le régime actuel de visa d’étudiant a été conçu en s’inspirant de l’expérience du bref séjour d’une ou deux sessions des étudiants américains, il faut maintenant l’adapter à la situation des étudiants haïtiens qui viennent plutôt en règle générale pour la durée d’une formation complète de plus trois à quatre ans en moyenne, plus de 50% étant inscrits dans des programmes de médecine qui durent plus de cinq ans (Banco Central, 2014). De fait, s’il est vrai que jusqu’en 2008, les étudiants américains « en échange » représentaient le groupe majoritaire d’étudiants étrangers inscrits dans le pays, les choses ont nettement évolué avec le temps. Selon l’enquête de D’Oléo, sur un effectif 4 696 étudiants étrangers en République dominicaine en 2005, 2 325, soit 49%, étaient de nationalité américaine contre 1 915 étudiants haïtiens, soit 41% de l’effectif total. Dès septembre 2008, selon la même étude, le nombre d’étudiants haïtiens avait passé à 3 806 ayant subi une augmentation de 99%. Aujourd’hui, des sources combinées parlent de 20 000 environ, suivant un taux annuel d’augmentation de 20 à 25% depuis 2009.
En ce sens, de la même façon que l’esprit de la loi migratoire correspondait jadis à la situation du groupe majoritaire américain, aujourd’hui, le cas du groupe d’étudiants haïtiens devenu majoritaire devra inspirer la réforme qu’il convient d’appliquer au système d’établissement et de gestion du statut des étudiants étrangers en République dominicaine. Par ailleurs, au-delà de la question de la durée du visa, les étudiants au séjour long ou permanent, et non en échange, comme les Haïtiens généralement, ne devront plus relever de la catégorie migratoire d’« étrangers non-résidents » (Article 36, Loi 285-04) auxquels il n’est pas accordé le droit de s’adonner à des activités génératrices de revenus (Article 100, Loi 285-04). En revanche, en faisant du visa d’étudiant un visa de résidence temporaire, comme c’est le cas par exemple pour le Canada, les étudiants auront le statut d’étrangers résidents temporaires et pourront ainsi avoir la chance de travailler ou de faire des stages rémunérés, fût-ce à temps partiel.
La République dominicaine doit donc consentir, avec l’appui consciencieux des universités dominicaines et le plaidoyer intelligent de la diplomatie haïtienne, à redistribuer aux étudiants haïtiens une partie de ce qu’ils apportent à son économie. En effet, tandis qu’ils n’étaient que 9 545 étudiants étrangers sur le territoire dominicain en 2014, ils apportèrent annuellement à l’économie dominicaine, selon la Banque Centrale (2014), plus de 9,6 millions de dollars américains dont les deux tiers revenaient seulement aux dépenses académiques, c’est-à-dire investis dans des frais de scolarité et des matériels didactiques.
En définitive, le projet de régularisation du statut des étudiants haïtiens en République dominicaine doit être inscrit dans une démarche juridique globale et non réduit à des petites décisions de faveur à concéder aux Haïtiens. En d’autres termes, la réforme envisagée doit nécessairement s’inspirer du cas haïtien en tant que groupe majoritaire mais l’objectif général du projet doit être la redéfinition même du statut migratoire dominicain de l’étudiant étranger en général.
Dossier étudiant et relations diplomatiques haïtiano-dominicaines
Dans le cadre restreint des relations haïtiano-dominicaines, l’erreur est souvent de trop vite s’émerveiller face à des mesures d’apaisement telles que celles du Protocole de Jimani du 3 février 2014 par exemple qui a déclaré conjointement la gratuité du visa d’étudiant et l’exonération des étudiants haïtiens détenteurs de ce visa des frais d’émigration et d’immigration. Continuer dans la ligne de cette tradition de coopération condescendante c’est toutefois rester en surface et s’empêcher d’être lucide et efficace face aux problèmes de fond. Le mieux sera donc d’essayer, avec le nouveau gouvernement dominicain qui s’en vient, d’aller plus en profondeur.
C’est une chance de pouvoir compter aujourd’hui sur un chancelier haïtien qui s’y intéresse vraiment. Il revient donc à la représentation diplomatique et consulaire d’Haïti en République dominicaine de continuer à défendre courageusement dans les négociations ces grands enjeux susmentionnés que comprennent déjà d’ailleurs les associations d’étudiants. C’est aussi un pari qu’il faut gagner absolument, ne serait-ce qu’en hommage aux énormes efforts consentis par nos jeunes qui sont nombreux à nous représenter dignement sur les tableaux d’honneur des universités dominicaines.
Pouvoir garder nos futurs bacheliers sur le territoire national après une augmentation significative de la qualité de l’offre académique et de la capacité d’accueil de nos universités haïtiennes est un autre débat et un autre défi à relever sur un plus long terme.
Smith Augustin
Doctorant en sociologie
Université Laval, Canada
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