Lors de la dernière publication en date du 30 août 2021 titré «Séisme et Aménagement du Territoire», l’alerte fut donnée quant à l’existence de failles méconnues et des recommandations urgentes furent proposées aux autorités gouvernementales aux fins d’anticiper une catastrophe imminente à l’échelle nationale. Près de cinq mois se sont écoulés et aucune action concrète n’a été envisagée.
Depuis le 24 janvier dernier, de nombreuses secousses sismiques localisées soit en mer ou sur terre se font sentir sur presque toute l’étendue du territoire. L’expert géologue Eric Calais, à travers le blog d’Edwige/ 27 janvier 2022, lance une alerte précoce en ces termes : entre lundi et mercredi, pas moins de 75 séismes avec des magnitudes de l’ordre de 5.3 sur l’échelle de Richter ont été enregistrés dans le pays, précisément dans la zone Sud. Cela confirme que cette partie du pays est en train de se réveiller sismiquement…on sait un certain nombre de choses. Ils n’ont pas lieu sur la faille Enriquillo. C’est une faille secondaire qui s’est réveillée…il est possible qu’elle fasse partie d’un ensemble de failles qui se trouvent en mer le long de la côte de la presqu’île du Sud…cela rajoutera un élément nouveau, négatif, dans l’aléa sismique puisque cela nous montrerait que ce système de failles en mer est actif et participe dans la menace sismique…il y a manifestement un risque que quelque chose de plus important soit déclenché, mais on ne peut pas le quantifier de manière précise.
A noter que des morts et des dégâts matériels furent encore enregistrés. Il n’empêche qu’une accélération des mouvements telluriques s’opère actuellement sous nos pieds avec cette impression d’inconscience de nos dirigeants. Tout compte fait, nous allons donc encore pleurer nos morts et ce hypocritement.
Par la présente, le Corps des Professionnels Haïtiens en Aménagement du Territoire (CPHAT) actualise la dernière publication pour alerter les autorités des quatre Régions du pays (Nord, Ouest, Transversale et Sud) ainsi que la population de prendre toutes les mesures nécessaires pour évacuer les bords de mer de tous les littoraux du pays. En plus des six recommandations données antérieurement, Il faut commencer par cibler des zones pour relocaliser temporairement toutes les populations concernées. Les tables de concertation départementales doivent être activées et la Direction de la Protection Civile (DPC) doit dès maintenant se mettre à pied d’œuvre. Quant au fameux bidonville de Jalousie (Pétion-ville), localisé dans le rayonnement immédiat de la ligne de faille Enriquillo, seule la population peut décider de sa survie en abandonnant librement cet espace. Rien n’est certain sous nos pieds.
Le CPHAT invite la population à relire l’article et réitère à la mémoire de tous, les opinions déjà partagées sur le sujet dans les lignes qui suivent.
Deux séismes majeurs en onze ans et de l’avis des experts d’autres suivront. L’alerte est déjà lancée sur la faille Nord qui, selon l’ingénieur-géologue Claude Prepetit, fera l’effet de 900 bombes atomiques. Entre-temps, la faille Septentrionale (Nord) ainsi que celle d’Enriquillo (pointe Tiburon/Rep.Dominicaine) continuent d’accumuler de l’énergie et peuvent décrocher à n’importe quel moment. D’autres failles méconnues surgissent ajoutées aux failles secondaires existantes, ce qui augmente le degré de risque sismique en Haïti. Il faut avouer que le tableau n’est pas trop réjouissant et n’invite nullement à la sérénité d’esprit lorsqu’on visualise les impacts du tremblement de terre du 14 août 2021.
En effet, plusieurs vidéos exposent une réalité criante qui semble ne pas attirer l’attention des spécialistes et des décideurs. Il me semble que des habitats ont été implantés directement sur la ligne de faille, entraînant une désagrégation et/ou engloutissement de maisons et de personnes. La configuration de l’espace a été modifiée en certains endroits. De tels constats invitent aux réflexions et aux questionnements.
Imaginons un peu le spectacle de l’engloutissement du fameux bidonville de Jalousie (commune de Pétion-ville) avec une population approximative de plus de 250 000 personnes accompagné d’une modification de l’espace avec un épicentre enregistré dans le rayon de Port-au-Prince. Le morne l’Hôpital perdrait une bonne partie de sa ceinture centrale avec tout ce qu’il contient. La Vallée de Bourdon ne serait pas épargnée sans oublier les autres communes et zones de l’aire métropolitaine. C’est déjà près d’un million de morts et des dégâts inimaginables qui conduiraient à une reformulation naturelle, violente de l’espace.
Imaginons également un méga tsunami provoqué par la faille septentrionale Nord. Tout le bord de mer de la ville du Cap-Haïtien et une bonne partie intérieure de la ville seraient submergés. Je fais abstention de l’entrée des eaux sur toute la bande littorale Nord. En termes de coût humain, cela équivaudrait à des milliers de morts.
Imaginons également que la majorité de nos villes sont côtières pour des raisons stratégiques liées à la colonisation. Aujourd’hui, avec le réchauffement planétaire, les déséquilibres environnementaux et la fonte des glaciers, il nous faut repenser catégoriquement l’aménagement du territoire haïtien pour donner une autre vocation aux littoraux. Sinon, le risque de perdre une bonne partie de ces villes et leurs contenants est élevé, s’il n’y a aucune anticipation du côté des autorités.
Par ailleurs, les impacts du tremblement de terre ont mis à nue des réalités extrêmement importantes qui nous permettent aujourd’hui d’effectuer une analyse comparative en lien avec l’aménagement du territoire. Insistons sur deux paramètres : 1) l’impact du tremblement de terre sur Port-au-Prince et sur la région Sud. 2) les réponses d’urgences et la gestion de l’aide
A. Vue comparative des impacts à Port-au-Prince et au niveau de la Région Sud
D’abord, il est à noter qu’il n’existe pas de grandes similitudes entre le tremblement de terre du 12 janvier 2010 et celui du 14 août 2021, si ce n’est leur proche magnitude de 7 sur l’échelle de Richter.
1. le premier s’est déclenché sur la faille dite de Léogane localisée à une distance appréciable de la capitale haïtienne. Point de concentration d’individus et de toutes les activités majeures du pays, les statistiques officielles du Post Desaster Need Assesment (PDNA) 2010 ont retenues plus de 220.000 morts officiellement, plus de 300.000 blessés, 500.000 déplacés internes, 105.000 résidences totalement détruites, 1,300 établissements d’éducation détruits ou endommagés, des bâtiments de l’administration publique détruits, 50 hôpitaux et centres de santé effondrés ou inutilisables et 7.804 milliards de dollars US de dommages et de pertes.
En termes d’impact direct sur l’espace, une très faible modification de l’espace a été enregistrée.
2. Le second (séisme du 14 août 2021) s’est opéré en département où l’habitat est moins dense et les activités éparses. Sur les trois départements de la Région Sud, les dernières données officielles du Centre d’Opérations d’Urgence National (COUN) mentionnent 2 207 décès, 12 268 blesses, 320 disparus, 52 953 maisons détruites, 77 006 maisons endommagées, les complexes administratifs de Jérémie, de Beaumont et de Corail ; dix (10) commissariats de la Police Nationale d’Haïti ont été détruits (Jérémie, Pestel et Corail) (au moment de la rédaction de cet article)
En termes d’impact direct sur l’espace, une très forte modification de l’espace a été enregistrée avec une forte dénivellation du sol en certains endroits.
En somme, si le séisme de 2010 fut lourde de conséquence sur les infrastructures, l’économie et les pertes en vie humaines; celui de 2021 a profondément modifié l’espace. Le Saut Mathurine en est un exemple visible.
B. Vue comparative des réponses d’urgence et la gestion de l’aide
Dans les deux cas, le constat est flagrant. L’Etat peine à secourir les populations affectées de manière institutionnelle malgré les efforts jumelés entre le Centre d’Opération d’Urgence National/COUN ; le Ministère de la Planification et de la Coopération Externe/MPCE et le Ministère de l’Intérieur et des Collectivités Territoriales /MICT. Cette tendance s’est nettement accentuée pour le second tremblement de terre en raison de l’inaccessibilité de certaines zones ou localités et de la faible présence et/ou l’absence de l’Etat dans d’autres lieux. Malheureusement, l’Etat ne dispose pas de matériels volants pouvant acheminer l’aide dans les zones enclavés ou inaccessibles.
On dirait que la Société Civile, de manière instantanée, et l’international détiennent un champ d’action plus étendus que l’Etat en termes de réponses d’urgence aux catastrophes.
En principe, dans tous pays organisés, l’Etat agit rapidement après une évaluation sommaire des dégâts en mettant en branle des structures de relais institutionnellement établies. Sur ce plan, Haïti n’a retenu aucun apprentissage du tremblement de terre du 12 janvier 2010.
C. Comment interpréter l’incapacité constante de l’Etat à adresser rapidement des solutions d’urgence et efficace face aux catastrophes naturelles?
La négation de l’aménagement du territoire est le principal facteur qui impacte négativement les actions gouvernementales. En second lieu, viennent la surpolitisation de l’administration publique, la minimisation de la technique et l’absence de vison à long terme des politiciens.
Une simple illustration technique permettra une meilleure compréhension des affirmations précédentes.
La loi sur la régionalisation et l’aménagement du territoire de 1982 préconisait la subdivision du territoire en quatre grandes Régions de planification du développement. Il s’agit de la Région Nord, la Région Transversale, la Région Ouest et la Région Sud. Chaque région devrait être dotée d’infrastructures, de services de base, de mécanismes institutionnels et financiers devant assurer une certaine autonomie et prise en charge des actions gouvernementales pour cet échelon territorial. Par exemple, à l’Instar de Port-au-Prince, il serait loisible de compter, un hôpital général régional, un centre régional des équipements (CRE), un centre régional d’électricité, un centre régional d’eau potable, un dépôt régional de réserves et d’approvisionnement stratégique en cas de catastrophes naturelles, un centre régional de gestion des risques et désastres, etc.
Ces mêmes infrastructures et services seraient dupliqués au niveau des Arrondissements de la Région aux fins de supporter la décentralisation et le renforcement des Collectivités Territoriales de Communes et de sections communales. Obligatoirement, tous les contraintes spatiales (zones enclavés, localités inaccessibles, faiblesses et ou absences de services sociaux de base etc.) auraient été prises en comptes à travers un Programme d’Investissement Public Régional (PIPR).
Si la régionalisation et l’aménagement du territoire étaient mis en application, elle aurait permis en 2010 et en 2021 à l’Etat haïtien d’effectuer une meilleure coordination et prise en charge des dégâts. Elle aurait permis également d’effectuer de micros zonage sismique régional et inter-régional.
D. Urgentes recommandations
Le séisme du 14 août 2021 envoie un effrayant message de ce qui pourrait advenir sur les Failles Enriquillo et Septentrionale si les épicentres se déclencheraient très près de Port-au-Prince ou sous la mer près du littoral de la ville du Cap-Haïtien. A noter que les multiples autres failles existantes et/ou méconnues ne sont pas mentionnées. Il s’agit déjà de près d’un million de morts en perspective. En attendant un troisième séisme majeur, il est urgent de :
a) Revenir à la loi sur la régionalisation et l’aménagement du territoire de 1982 tout en procédant à certaines actualisations en raison du contexte actuel ;
b) Transférer le Bureau des Mines et de l’Energie sous la tutelle du Ministère de la Planification et de la Coopération Externe afin de renforcer les actions de la Direction de l’aménagement du Territoire de Développement Local et Régional (DATDLR)
c) Réaliser un zonage sismique le long des failles prioritaires avec pour actions connexes la délimitation d’une bande à rayonnement stable de part et d’autres de la ligne centrale. Cette ceinture sismique serait aménagée écologiquement (grands arbres forestiers) de façon à interdire toutes activités humaines (habitat, équipements et ou infrastructures) sur la ligne des failles ;
d) Procéder à l’implantation d’un minimum d’équipements au niveau des quatre grands centres urbains régionaux;
e) Procéder rapidement à la construction d’un dépôt stratégique de réserves et d’approvisionnement (produits premières nécessités, kits hygiéniques, tentes, produits sanitaires etc.) ;
f) Sensibiliser, former et informer les membres des mairies, les CASECs afin qu’ils puissent se préparer à toutes éventualités.
D’ici là, si la situation politique ne s’améliore pas, si une nouvelle génération de politiciens visionnaires ne surgissent pas, nous devrions tous commencer à pleurer nos morts par anticipation.
Le Corps des Professionnels Haïtiens en Aménagement du Territoire (CPHAT) estime que ces recommandations sont toujours d’actualités et exhorte les autorités à prendre toutes les mesures nécessaires et d’extrême urgence pour sauver ce qui peut l’être encore.
Les membres du Conseil d’Administration CPHAT
Marie Françoise BOURSIQUOT
Cedanor ST-VIL
Eslhomme RAYMOND
Gladys MAYARD
Herby ISNARDIN
Jean Mercier PROPHETE
Marie Florance JEAN PIERRE
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