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Selon le politologue Robert Fatton, le procès PetroCaribe n’aura pas lieu

Au risque d’en décevoir plus d’un, le politologue haïtien de l’Université de Virginie, Robert Fatton Jr doute que le procès PetroCaribe puisse jamais avoir lieu. Dans cette deuxième partie de l’interview fleuve qu’il a accordé à la journaliste indépendante Nancy Roc, il explique pourquoi. Que dire aux jeunes aujourd’hui ? Pourquoi n’arrivons-nous pas à bâtir un État fonctionnel en Haïti et que nous réserve notre environnement si vulnérable ? Autant de questions auxquelles il a bien voulu répondre, en exclusivité pour Juno7. 

Nancy Roc : Selon l’économiste Leslie Péan, le scandale PetroCaribe a suscité d’autant plus d’intérêt que la mécanique des malversations a été actionnée par des complices disséminés dans au moins quatre pays étrangers, la République Dominicaine, le Venezuela, le Panama et les États-Unis d’Amérique. Ce dossier a galvanisé la jeunesse haïtienne mais, un an après, le 14 aout dernier, un sit-in des PetroChallengers n’a pas fait recette et ils n’étaient même pas une dizaine ce jour-là. Selon vous, le procès PetroCaribe aura-t-il jamais lieu?

Robert Fatton : «  Je ne le crois pas car tout le monde est impliqué, et pas seulement une partie de l’État. Si l’on fait le procès PétroCaribe, il faudra en faire  d’autres. L’argent de la Téléco par exemple était un dossier très important. Nous avons tellement de dossiers sur la corruption impliquant tellement de gens qui ont bénéficié de l’État! »

«  Ensuite, si l’on parle de procès, il faudrait parler aussi des massacres qui ont eu lieu : le dernier massacre de La Saline par exemple. Si il faut faire un nettoyage il faut un nettoyage complet : on ne peut pas nettoyer le pays avec simplement un type de corruption  alors que la corruption a été continue depuis 1986.Les massacres ont été continus. Le pire est qu’on en parle très peu: que ce soit La Saline, l’assassinat de Jean Dominique, et autres, qu’est-ce qui a été fait? Ce sont des patates chaudes auxquelles personne ne veut toucher.»

N.R : Mais si les Américains contrôlent tous ceux qui prennent le pouvoir en Haiti, pourquoi ne pourraient-ils pas exiger ce nettoyage ?

R.F : «  Parce que je ne pense pas que ça les intéresse. Quand on voit les États-Unis en Irak, ils font la même chose ; en Afghanistan, c’est pareil. Ils sont là depuis 19 ans. Est-ce que ces pays ont changé? Rien n’a changé sinon que la corruption s’est installée et c’est la désintégration nationale en Irak. Je ne vois pas les Américains s’engager dans un changement constructif. Je crois simplement qu’ils contrôlent des zones. Il y avait un conseiller de De Gaulle qui parlait de « l’Afrique utile et l’Afrique inutile ». Il s’en foutait pas mal de ce qui s’y passait. Il pouvait y avoir des guerres mais lorsque c’était une zone utile, il fallait la contrôler. C’est tout. »

N.R : Comment expliquez-vous que nous n’arrivions pas à accoucher d’un État fonctionnel depuis 1986 ?

R.F : «  Franchement, je crois que c’est la nature même de la politique haïtienne. C’est la politique du ventre. Le pays est tellement pauvre qu’avoir une idée du pays à long terme ne satisfait pas les politiciens. Dès qu’ils arrivent au pouvoir  « sel bagay yo vle, se manje.» Et cela n’a pas changé depuis 1986. De plus, les étrangers s’en sont mêlés avec des programmes qui n’ont jamais fonctionné et ont détruit la production nationale. La pénurie aujourd’hui affecte probablement 90% de la population. Donc c’est un problème économique qui génère un problème politique et qui affecte la moralité nationale. »

N.R : Pourtant les Dominicains ont réussi là où nous avons failli dans la même période de temps…

R.F : «   Il y avait deux différentes dictatures en Haïti et en République dominicaine: Duvalier n’a rien laissé; Trujillo a laissé des infrastructures. Et malgré la corruption, les Dominicains ont eu des politiciens qui ont su, avec le secteur privé, faire des concessions dans des moments clés. En Haïti, nous avons raté toutes les occasions de compromis. Quand Préval a voulu faire quelque chose, toutes ses réalisations ont été anéanties par le séisme. Ensuite il y a eu Sweet Micky. Cela a été d’une débandade à l’autre. »

« Pour moi, ce qu’il y a de plus grave, c’est que les classes économiques n’ont jamais voulu faire de compromis avec le reste du pays. Les politiciens, eux, n’ont voulu prendre le pouvoir que pour s’enrichir. Depuis 1804, c’est ce que nous faisons. « Plime poul lan pa kite’l kryié » est une vérité en Haïti et nous avons toujours été diviés depuis 1804. Quand les gens parlent de l’union nationale de 1804, elle a été très fragile. »

 

N.R : On a fait aussi de très mauvais choix. Par exemple, en restant avec Taïwan au lieu de coopérer avec la Chine:

R.F : «  Ça encore c’est de l’incompétence car on ne peut pas dire que c’est par crainte des Etats-Unis puisque la République dominicaine et beaucoup de pays d’Amérique Latine ont signé avec la Chine. Nous je ne sais pas ce qu’on veut faire car Taïwan ne nous donne rien comparativement à ce que la Chine pourrait nous donner. C’est une décision politique qui a été stupide et si Moise pensait que cela lui donnerait un avantage comparatif avec les Etats-Unis, ils ne lui ont rien donné! Trump n’a que faire de Jovenel. Il l’invite à son hôtel et c’est tout. Mais cela ne change rien de ce qu’il pense d’Haïti. La preuve: Trump a signé dernièrement un accord avec le Honduras et le Guatemala empêchant les Haïtiens transitant dans ces pays de sortir de ces territoires. Ainsi, ils ne pourront plus transiter par le Mexique pour se rende aux Etats-Unis. Donc, l’exil des Haïtiens vers le Brésil et le Chili pour arriver aux Etats-Unis, va disparaître. »

N.Roc : Nous sommes donc piégés dans un territoire avec un environnement qui n’arrive même plus à soutenir 12 millions d’habitants?

R.F : «  L’environnement en Haïti est un problème excessivement grave. Quand on arrive à Port-au-Prince, on le voit tout de suite: le trafic, les rues, les bidonvilles, la vie au bas de Port-au-Prince, c’est inouï! Comment peut-on vivre dans des conditions pareilles? J’ai vu un homme dans des fatras les partageant avec des cochons pour manger et je me suis promis de ne jamais plus retourner au bas de Port-au-Prince. Ce n’est pas un pays! On ne peut pas tenir ainsi ! »

«  La réalité démographique nous rattrape aussi. Lorsque Duvalier est parti, il y avait 6 ou 7 millions d’Haïtiens. Aujourd’hui, nous sommes plus de 12 millions. Pour sortir de la pauvreté comme disait Préval, c’est « naje pou’n soti ». Mais avec ces sorties de plus en plus compliquées avec Trump, je ne sais pas comment le pays va tenir. On peut s’imaginer ce qui arriverait s’il y avait un autre tremblement de terre. « peyi a fini! » C’est un pays où il n’y a même pas un bon hôpital. Cela en dit long sur les classes dirigeantes de ce pays. Si vous êtes malades ou vous avez une crise cardiaque, vous mourrez. Même avec de l’argent, il faut se rendre à Cuba ou à Miami. »

NancyRoc : Que diriez-vous aux jeunes aujourd’hui? De partir?

Robert Fatton : «  C’est une question très difficile à répondre. Par exemple, les jeunes de PetroCaribe  formaient  un mouvement légitime. Mais dès qu’on a un tel mouvement, il va être récupéré par les politiciens et se désintègre. C’est ce qui est arrivé. Et c’est ce qui arrive aux gens honnêtes du pays et de la diaspora qui veulent s’investir dans le pays: dès qu’on rentre dans ce système, il vous paralyse. Comment sortir d’un système qui non seulement favorise la corruption mais aussi l’incompétence ? Comment y échapper et ne pas être broyé par cette machine infernale? »

Interview. Nancy Roc

Crédit Photo

Robert Fatton: Virginia Edu

Papa Doc. Pinterest

Fatras: Nancy Roc

 

 

 

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