Opinion

Stop féminicide en Haïti !

LE FEMINICIDE (Suite de l’article précédent)

Par Magistrat Paul PIERRE

Paris, le 20 décembre 2020

Le terme féminicide n’existe dans aucun texte de loi haïtienne. Les acteurs judiciaires (magistrat, victime, policiers, avocats, etc.) n’en parlent pas trop. Toutefois, les organisations œuvrant dans le domaine des droits de l’Homme, les mouvements féministes et les médias en Haïti l’utilisent peu ou prou.

En France, on ne retrouve non plus ses traces dans aucune loi, encore moins dans le Code pénal. Mais le sujet est d’actualité dans l’hexagone. De nombreuses associations, des militants féministes et des familles des victimes ne cessent de demander aux autorités françaises compétentes de l’inscrire au Code pénal en tant que « crime machiste et systémique ». Ils se battent donc activement pour la création d’une incrimination autonome de « féminicide » dans ledit code.

Précisons, toutefois, que depuis janvier 2017, l’article 221-4 du Code pénal français prévoit et réprime les meurtres sexistes et les meurtres conjugaux. Mais ce texte ne vise pas spécifiquement les femmes puisqu’il s’applique en fait de la même manière aux hommes.

En Haïti, un décret de 2005 (articles 278 et suivants du Code pénal) a modifié le régime des agressions sexuelles, sous l’influence des mouvements féministes de l’époque, en durcissant les peines contre le viol et toute autre agression sexuelle ainsi que les tentatives de ces crimes. Et, plus récemment, le législateur de 2020 semble faire le même choix que son homologue français dans le projet du Nouveau code pénal en incriminant et réprimant désormais les meurtres sexistes et les meurtres conjugaux à l’article 248 NCP.

Le féminicide peut donc être interprété comme une sous-catégorie de l’homicide, au même titre que le parricide ou l’infanticide que nous avons déjà développé dans les chapitres précédents. Toutefois, n’étant pas une infraction spécifique au regard de la législation pénale haïtienne voire française, nous ne pouvons pas l’étudier en tenant compte de ses éléments constitutifs.

De ce fait, nous allons, dans un premier temps, nous attacher à identifier ce nouveau phénomène (I) avant de nous intéresser, dans un second temps, aux actions entreprises pour le combattre (II).

  • La détection du féminicide

Pour une meilleure compréhension de cette nouvelle conception de meurtre, nous choisissons d’étudier, d’une part, ses terminologies (A) et nous analyserons, d’autre part, l’évolution de ce crime ces dernières années tant en France que dans quelques pays du monde (B).

  • Les terminologies du féminicide 

Le féminicide a de nombreuses terminologies. Il est connu, en effet, sous différents vocables tels que : fémicide, gynécide ou gynocide.  Il est souvent défini par « le meurtre  ou l’assassinat d’une ou plusieurs femmes ou filles parce qu’elles sont des femmes ou des filles ».

Ignoré pendant plusieurs siècles, le terme féminicide est entré dans le vocabulaire courant grâce à l’influence des mobilisations militantes féministes. 

En effet, apparue dans la langue française au XIXe siècle, c’est la féministe française Hubertine Auclert qui l’avait utilisé pour la toute première fois en 1902 dans le quotidien Radical, à propos d’une loi dite « Féminicide ».

Quelque décennies plus tard, Diana Russell l’utilise publiquement en 1976 lors de son tribunal populaire sur les crimes contre les femmes à Bruxelles.

Bien que l’expression soit déjà connue dans le monde anglo-saxon, on estime que Russell y ajoute un sens politique critique et la place dans le cadre d’une politique féministe

Plus d’un croient également que Russell a affiné la définition du concept, qui devient le « meurtre misogyne de femmes par des hommes ». 

Cependant, la féministe Liz Kelly va plus loin en faisant croire à l’idée qu’il s’agit d’une manifestation extrême de violence sexuelle, mettant en évidence la nature genrée de certaines formes de violence envers les femmes, et se focalisant sur ce qu’elle voit comme un désir de l’homme pour le pouvoir, la domination et le contrôle.

L’organisation mondiale de la santé (OMS) a, pour sa part, donné en 2012 une définition incluant de manière implicite les homicides commis par une femme sur une autre femme ou sur une fille, en raison de la condition féminine de la victime.

Ainsi l’OMS en distingue quatre catégories :

  • Le féminicide « intime » lorsqu’il s’agit du conjoint actuel ou ancien.
  • Le crime d’honneur est pratiqué par un homme ou une femme, membre de la famille ou du clan de la victime, afin d’en protéger sa réputation. Il est commis lorsque la femme a transgressé des lois morales telles qu’un adultère, la fréquentation d’un garçon sans l’accord de sa famille, ou même après avoir subi un viol.
  • Le féminicide lié à la dot correspond à l’homicide d’une femme par sa belle-famille, lors du mariage dû à une dot insuffisante, particulièrement en Inde.
  • Le féminicide non-intime est un crime commis en dehors d’une relation intime avec la victime.

Cependant, dans un colloque tenu sur le sujet en 2012, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNODC) a identifié onze formes de féminicide. Il s’agit de :

 En France, la Commission générale de terminologie et de néologie, qui travaille en lien avec l’Académie française en a préconisé l’usage dans le domaine du droit en 2014, avec le sens « Homicide d’une femme, d’une jeune fille ou d’une enfant en raison de son sexe ». 

Il fait son entrée au dictionnaire « Le Robert » en 2015 et signifie : « meurtre d’une femme, d’une fille, en raison de son sexe ». Cependant, on remarque qu’il est encore absent dans la plupart des dictionnaires, notamment le Trésor de la langue française et n’est pas reconnu par l’Académie française.

Mais le terme féminicide est généralement utilisé dans les médias français dans son acception réduite, à savoir le meurtre d’une femme par son conjoint ou son ex-conjoint.

On remarque également que, malgré les apparences linguistiques, le féminicide ne désigne pas tout meurtre d’une femme qui constituerait un homicide volontaire classique. Il caractérise le fait de tuer une femme pour des motifs liés à son identité de femme

Ainsi, l’homicide d’une femme par un étranger au couple, peut ne pas constituer un féminicide s’il s’agit, par exemple, d’un homicide dont le mobile est crapuleux. Et les homicides involontaires n’étant pas des meurtres, ils ne sont a fortiori pas des féminicides.

         Dans le monde anglo-saxon, le féminicide se voit comme « le point d’aboutissement ultime d’un continuum de violence et de terreur incluant une large variété d’abus verbaux et physiques, et s’exerçant spécifiquement à l’endroit des femmes ».

Cette définition englobe les situations où le viol, l’esclavage sexuel, l’inceste, l’hétérosexualité forcée, les mutilations génitales féminines ou celles effectuées au nom de la beauté comme la chirurgie esthétique, provoquent la mort d’une femme.

  • L’évolution du féminicide en France 

Dans l’Hexagone, depuis 2006, une étude annuelle relative aux morts violentes au sein du couple est établie par la Délégation aux victimes des Directions Générales de la Police Nationale et de la Gendarmerie Nationale.

 La dernière enquête de la délégation aux victimes, rendue publique en août 2020, fait état de 146 femmes tuées par leur compagnon ou ex-conjoint au cours de l’année 2019. Remarquons que la publication est annuelle. Donc, l’enquête portant sur l’année 2020 sera publiée en été 2021.

 La publication de cette enquête en juillet 2019 réalisée sur l’année 2018 faisait état de 149 personnes décédées « sous les coups » de leur partenaire ou de leur ex-partenaire de vie. Parmi ces victimes, on comptait 121 femmes.

Il importe cependant de remarquer que c’est grâce à une loi du 3 août 2018 qui prévoit des circonstances aggravantes lorsque le féminicide a lieu au sein des couples y compris lorsque les partenaires ne cohabitent pas, que le champ d’application de l’étude se trouve élargi. Elle se porte depuis sur les morts violentes survenues au sein des relations non officielles (petit ami, relation extraconjugale, relation non stable, non suivie) qui étaient jusque-là documentées dans l’étude, mais non comptabilisées.

Face à l’accroissement du nombre de féminicide en France au cours de l’année 2019, l’ex-Garde des sceaux de la République, Madame Nicole Belloubet a, lors d’un colloque sur la lutte contre les violences conjugales organisé, de concert avec l’école nationale de la magistrature (ENM), déclaré :

« Elles sont aujourd’hui plus de cent trente (130) à avoir succombé sous les coups de leur conjoint depuis le début de l’année. »

II- La lutte contre le féminicide

Le combat contre le féminicide est mondial même s’il existe encore, malheureusement, des politiques gouvernementales qui laissent à désirer. Dans ce contexte, nous avons choisi de présenter les modèles de quelques pays que nous estimons être des avant-gardistes en la matière pour leur implication rigoureuse dans cette bataille.

Alors que des efforts très encourageants ont été déployés par plusieurs gouvernements en vue de combattre ce fléau (A), des juridictions tant nationales qu’internationales s’y mettent aussi en sanctionnant les Etats les plus récalcitrants ou défaillants quand elles en auront l’occasion (B).

  • Les réactions de certains pays face à ce nouveau phénomène

Etudions successivement les cas de la France (a), de l’Espagne (b) et de la Belgique (c). Nous ne négligerons pas de jeter un œil sur l’évolution de ce phénomène en Amérique notamment au Canada (d), en d’Haïti (e) et dans le reste du monde (f).

  • Les efforts du gouvernement français

Face à l’accroissement du nombre de féminicides en France au cours de l’année 2019, les autorités françaises ont adopté tout un ensemble de mesures en vue de lutter contre ce fléau.

Le Gouvernement d’Edouard Philippe a lancé un Grenelle contre les violences conjugales qui avait débuté le 3 septembre 2019 et terminé le 25 novembre 2019 (date de la journée internationale contre la violence à l’égard des femmes).

A l’ouverture de ce grand dispositif, l’ex-Premier ministre Philippe a déclaré :

 « Aujourd’hui, une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son conjoint. Cela ne peut plus durer. C’est pourquoi le Gouvernement lance ce 3 septembre 2019 le premier Grenelle contre les violences conjugales. »

Ce débat qui avait réuni autour de la table de discussions de nombreux acteurs (ministres, parlementaires, élus locaux, administrations, associations, familles et proches de victimes, avocats, médias, professionnels de la santé, du logement, forces de l’ordre, etc.) avait pour objectif de prendre des engagements concrets et collectifs visant à lutter toujours plus efficacement contre les violences conjugales.

      A la fin de ces échanges, tout un ensemble de mesures ont été adoptées, entres autres :

  • Création des centres de prise en charges des conjoints violents ;
  • Confiscation des armes à feu des conjoints violents. 

Selon l’ex-Secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre, chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes, Marlène Schiappa, dès que la femme porte plainte, dès l’ouverture de l’enquête, il y aura une saisie de l’arme. Elle souhaite mettre ainsi de nombreuses femmes à l’abri.

 D’après les statistiques du ministère de l’Intérieur, 31,8% des féminicides sont commis par une arme à feu

  • Création de 1000 nouvelles places d’hébergement et de logement à partir du 1er janvier 2020 afin de protéger les femmes victimes de violences en les mettant à l’abri ;
  • Faciliter l’accès à la garantie locative pour que les victimes puissent bénéficier d’une caution locative gratuite et trouver un logement plus facilement ;
  • Développement d’une ligne d’écoute dédiée aux victimes de violences conjugales.

Marlène Schiappa estime que l’emprise est une réalité psychique. Le suicide forcé sera désormais considéré comme une circonstance aggravante pour les hommes violents et la notion d’emprise sera prise en compte dans les Codes civil et pénal, a-t-elle déclaré.  

  • Assouplissement du secret médical pour permettre aux professionnels de santé de signaler plus facilement des faits de violences, et de faciliter la saisie des armes détenues par un homme violent.

Selon l’ex-Premier ministre Edouard Philippe, « nous devons, lorsque cela peut sauver des vies, offrir la possibilité aux médecins de déroger au secret médical ».

L’ex-Ministre de la justice, Garde des Sceaux de la République, Nicole Belloubet a, pour sa part, renchéri : « Si un médecin voit qu’une femme se fait massacrer, ça me choquerait qu’il ne le dise pas. »

Elle s’est dit donc favorable à cette mesure qui permettra à un soignant de signaler aux forces de l’ordre ou au procureur de la République des violences conjugales présumées.  

  • Une formation pour les enseignants sur l’égalité filles/garçons.

« Nous allons proposer aux enseignants une formation obligatoire sur l’égalité sur les garçons et les filles. Il faut enseigner des principes, des façons de détecter et de répondre aux violences faites aux femmes », a également annoncé l’ex-Premier ministre Edouard Philippe. 

  • Mise en place d’un dispositif électronique anti-rapprochement dans les 48 heures après le prononcé de la mesure dans le cadre d’une ordonnance de protection ou d’un contrôle judiciaire. 

Selon le dispositif, un bracelet électronique sera posé sur l’agresseur qui se voit aussi attribuer un appareil de localisation GPS ; la victime est dotée, pour sa part, d’un récepteur. En cas de rapprochement de l’auteur trop près de la victime, les forces de l’ordre sont automatiquement alertées pour pouvoir intervenir.

  • Lancement d’un audit de 400 commissariats et gendarmeries.
  • Mise en place d’une grille d’évaluation du danger dans tous les services de police et de gendarmerie ; 

Cette grille permettra d’éviter les mains courantes et d’encourager au dépôt de plainte. Elle aidera également les forces de l’ordre à mieux identifier les femmes victimes de violences et le danger qu’elles encourent.

    • Généralisation de la possibilité de déposer plainte dans les hôpitaux ;
  • Possibilité pour le juge pénal de suspendre ou d’aménager l’exercice de l’autorité parentale ;
  • Suspension de plein droit de l’autorité parentale en cas de féminicide dès la phase d’enquête ou d’instruction. 

 

  • Les efforts du gouvernement Espagnol 

L’Espagne est souvent considérée, ces dernières années, comme précurseur dans la protection contre les conjoints ou ex-conjoints violents.  

Tout semble commencer en effet après l’assassinat en 1997 d’Ana Orantes. Cette victime de violences conjugales avait été brulée vive par son ex-mari trois (3) jours après son témoignage à la télévision. Cela donc a provoqué un émoi considérable au sein de la société espagnole.

Cette situation a conduit les autorités espagnoles à mettre progressivement en place un arsenal de moyens variés et complémentaires visant spécifiquement les violences de genre commises contre les femmes. Elles ont créé en 1999 une infraction spécifique si les violences sont habituelles.

En 2003, le parlement a voté une loi qui régit les ordonnances de protection pour les femmes victimes de violences, ainsi qu’un premier recensement systématique des femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint.

Le Gouvernement de José Luis Zapatero a fait voter une loi organique  en 2004 considérée comme « un modèle dans la lutte contre les violences machistes » et une « volonté de solder une bonne fois pour toutes l’héritage franquiste en matière sociétale ».

Cette loi qui prévoit la sensibilisation et la création de 106 tribunaux spéciaux avec des procédures accélérées comporte cinq (5) volets visant à couvrir l’ensemble des moyens d’actions contre les violences faites aux femmes dans le cadre des relations de couples, avec ou sans cohabitation.

Un premier volet concerne l’éducation, avec des programmes scolaires visant à enseigner l’égalité de genre et la résolution pacifique des conflits ; et d’autres programmes de formation continue des professionnels de santé pour détecter les situations de risque et assister les femmes concernées ;

Le second volet, orienté sur les droits des femmes, prévoit une aide judiciaire, des prestations sociales en cas de salaire inférieur à 75 % du salaire minimum si leurs difficultés à trouver un emploi résulte de leur âge, d’un manque de formation ou d’une situation personnelle particulière. Le droit à la mobilité géographique dans l’emploi est facilité tout comme la réorganisation du temps de travail. Les personnes âgées victimes de violences conjugales se voient affecter un droit de priorité pour l’accès aux maisons de retraites publiques.

Le troisième volet est de nature institutionnelle. Outre la création d’un observatoire des violences faites aux femmes, chargé d’analyser et suivre les cas rencontrés, ce volet instaure la mise en place d’un système de coordination de tous les acteurs concernés (justice, secteurs sanitaire et social, organismes chargés de l’égalité entre les sexes).

Le quatrième volet est d’ordre pénal, avec la création de circonstances aggravantes en cas d’agressions, menaces ou coercitions exercées contre des personnes en situation de faiblesse vivant sous le même toit ou contre l’épouse ou compagne. Dans le même temps certains actes qui relevaient du délit sont criminalisés.

Le cinquième et dernier volet touche à l’organisation judiciaire, avec la création de tribunaux spécialisés, compétents aussi bien en matière civile que pénale.

En 2008, le parlement espagnol a modifié la loi de 2004 et a adopté le pacte d’État contre la violence sexiste visant à intégrer des composantes de la convention d’Istanbul, et décliné en 200 points d’action.

Le Gouvernement espagnol a aussi étendu en 2009 le port du bracelet électronique aux conjoints et ex-conjoints violents. 

Grâce à tous ces efforts, l’Espagne a donc vu diminuer considérablement le nombre de féminicides liés à des violences conjugales (71 en 2003 contre 47 en 2018). Le pays est donc considéré comme étant en pointe en Europe dans la lutte contre ce phénomène, et un modèle à suivre selon plusieurs journaux dont l’Express, La Croix, France Info, etc.

Toutefois, des chercheuses comme Emanuela Lombardo et María Bustelo estiment que le modèle espagnol comporte certaines faiblesses parce que le champ de violences visé est trop restreint au sens qu’il ne concerne que les violences entre partenaires et ex-partenaires.

Elles reprochent donc à ce modèle d’avoir négligé « le harcèlement sexuel, le viol, le trafic de femmes, les violences sexuelles hors des relations de couple, l’usage d’un langage sexiste, etc. ».

Par ailleurs, plus d’un craignent une probable remise en cause du consensus national avec l’arrivée au Cortès (parlement) du parti d’extrême-droite Vox. En effet, selon le journal La Croix, le principal objectif de ce parti de droite est de faire abolir, au nom de l’égalité entre les sexes, la législation mise en place par le socialiste José Luis Zapatero en 2004 qu’il juge injuste, car elle est plus  favorable aux femmes qu’aux hommes

Ce parti milite donc pour le remplacement de la loi sur la violence de genre par une loi offrant les mêmes protections et avantages aux femmes, aux hommes, aux enfants et aux personnes âgées victimes d’abus, ainsi que pour la suppression de toutes les subventions accordées aux associations féministes.

 

  • La situation en Belgique

A l’instar d’autres pays européens très impliqués dans la lutte contre toutes sortes de violences faites aux femmes, les autorités belges ont pris des mesures appropriées en vue de combattre le féminicide dans leur pays. 

Parmi les mesures phares adoptées, on note la modification de quelques articles du Code judiciaire afin de prévoir des formations en matière de violences sexuelles et intrafamiliales pour tous les magistrats en Belgique.

En effet, l’article 78 du Code judiciaire belge dispose désormais :

 « Dans l’année de leur première désignation, les juges qui siègent dans la chambre du conseil, les chambres du tribunal correctionnel, du tribunal de l’application des peines, du tribunal de la famille et de la jeunesse et les juges d’instruction suivent une formation approfondie en matière de violences sexuelles et intrafamiliales organisée par l’Institut de formation judiciaire. »

 Il est à noter que les magistrats déjà nommés ne sont pas oubliées ; ils   doivent eux aussi suivre une formation de base en ces matières.

A la parution de ce texte dans les journaux, des réactions pleuvent dans le milieu féminisme.

Aussi l’Amnesty international et SOS Viol se sont-ils réjouis de l’entrée en vigueur de cette loi rendant obligatoire pour les magistrats le suivi d’une formation de base ou une formation approfondie en matière de violence sexuelles et intrafamiliales auprès de l’institut de formation judiciaire.

Josiane Coruzzi, directrice de l’association « ASBL Solidarité Femmes » qui formait des magistrats en collaboration avec l’Institut de formation judiciaire sur cette thématique, juge que « c’est très surprenant et c’est une belle avancée ».

« Ce ne sera plus la même chose, parce que ces formations n’étaient pas obligatoires auparavant, il était donc très difficile de les convaincre d’y assister, surtout les magistrats déjà en place. Les juges des tribunaux des familles sont très difficiles à toucher également. On formait donc plus souvent les stagiaires et les magistrats les plus volontaires. Ce que j’apprécie beaucoup, c’est qu’il est maintenant écrit dans le Code judiciaire que les magistrats doivent être formés de manière approfondie sur ces matières, c’est-à-dire qu’on ne se contente pas d’une journée et puis, plus rien », analyse-t-elle.

Pour sa part, Diane Bernard, juriste et membre de l’ASBL Fem&Law, estime que ces formations étaient une nécessité absolue en vue de faire évoluer le droit pour plus d’égalité et notamment pour lutter contre les violences envers les femmes.

 « C’est une revendication de longue date des mouvements féministes. Pour nous, une des causes du faible taux de poursuite et de condamnation des auteurs de violences sexuelles et intrafamiliales est précisément le manque de connaissance des acteurs du monde judiciaire. Il y a des violences qui ne sont pas prises en compte et c’est une double peine pour les victimes, quand la situation qu’elles vivent n’est pas prise au sérieux », explique-t-elle.

Les militantes féminismes belges estiment, en effet, qu’il existe toujours un risque d’amalgame quand les magistrats n’arrivent pas à faire la distinction entre les conflits familiaux où les deux conjoints sont dans une position égalitaire et la violence conjugale qui est un processus de domination.

C’est là tout l’intérêt de former les magistrats sur ces sujets afin d’éviter des stéréotypes sociaux et de l’injustice dans les tribunaux eu égard aux violences faites aux femmes.

Ainsi Josiane Coruzzi citée plus haut, parle même d’accusation d’aliénation parentale.

« Quand madame parle des violences de monsieur, certains juges vont estimer qu’elle ment, qu’elle exagère, qu’elle instrumentalise la justice. Il faut aussi pouvoir informer sur le fait que les violences ne s’arrêtent pas lors de la séparation. On devrait donc toutes sauter de joie devant cette obligation légale de former les magistrats », a-t-elle déclaré.

  • Le féminicide au Canada 

Le Canada n’est pas non plus épargné par ce fléau. Le féminicide y est au contraire en hausse ces dernières années, selon les autorités concernées par la question. Elles estiment qu’après une nette baisse de meurtres de femmes entre 1980 à 2015, le phénomène a donc repris son envol. Cela s’explique sur deux angles.

D’une part, l’Observatoire canadien du féminicide pour la justice et la responsabilisation (OCFJR), qui produit une carte annuelle du féminicide ainsi que divers rapports,  a dénombré 148 femmes et filles victimes de meurtre en 2018. C’est une femme ou fille tuée tous les deux jours et demi, un nombre exponentiel par rapport aux années précédentes.

 D’autre part, les autorités canadiennes se disent préoccupées ces derniers temps par les disparitions et les meurtres significatifs des femmes autochtones. Selon une enquête ouverte par le gouvernement fédéral en 2019, pas moins de 3000 cas ont été recensés. 

L’étude met donc en cause le caractère systémique de l’incapacité des institutions gouvernementales canadiennes à protéger les femmes autochtones contre les violences, en particulier, les violences sexuelles.

Personne n’oublie la tuerie qui a eu lieu le 6 décembre 1989 dans une école polytechnique de l’Université de Montréal où 14 jeunes femmes ont été abattues pour le simple fait qu’elles étaient des femmes.

Malheureusement, l’auteur de ces assassinats s’était suicidé et n’a pas pu donc comparaitre devant les tribunaux pour répondre de ses actes.

Toutefois, 30 ans après les faits, soit en novembre 2019, la ville de Montréal a déclaré l’attentat antiféministe.

  • Le cas d’Haïti 

En Haïti, il est difficile de se faire une idée du nombre de féminicides enregistrés annuellement. Les statistiques n’existent pas d’ailleurs dans ce domaine.

Selon un article intitulé « Féminicides et agressions sexuelles : Un problème de santé publique » du Juge d’instruction de Port-au-Prince, Ikenson Edumé, la clinique « Pran menm » des Médecins sans frontières (MSF) avait enregistré environ 1826 cas d’agressions sexuelles durant la période de mai 2005 à octobre 2017 dont 98% de femmes.

On peut dire que ce nombre ne représente qu’un infirme échantillon des cas d’agressions sexuelles lorsqu’on sait que dans ce pays à prédominance religieuse, les victimes, pour préserver leurs relations conjugales et surtout leurs mariages, n’osent pas faire une main courante au Commissariat de police voire porter plainte.

Il faut dire que le divorce et même la simple séparation de corps des ménages sont jusqu’à présent très mal perçus dans certaines familles haïtiennes.

Donc, les rares mains courantes et/ou plaintes enregistrées pour violences et agressions sexuelles demeurent le plus souvent sans suite, soit parce que des policiers, accordant peu d’importance à ce sujet, ne font pas assez de diligences nécessaires pour appréhender les agresseurs, soit parce que des magistrats ne disposent pas des éléments de preuve suffisants pouvant conduire à la condamnation des délinquants sexuels.

Dans l’article cité plus haut, on remarque aussi que la clinique « Pran menm » n’était pas en mesure, parait-il, de préciser le nombre de femmes décédées à la suite de ces agressions. Pas plus, les policiers des différents Commissariats de la capitale n’en disposent des bases de données y relatifs.

Il n’est pas anodin non plus de constater que l’étude est portée sur une seule clinique de la capitale et est datée de l’année 2017. Cela fait déjà trois (3) ans !

Ce qui rend donc très difficile notre démarche tendant à donner une statistique exacte des nombres de féminicide (meurtre des femmes en raison de leur identité sexuelle) en Haïti. D’autant plus que nous avons déjà dit qu’il s’agit d’un sujet un petit peu tabou dans ce pays.

Les organisations de défense des droits humains et /ou des droits des femmes que nous avons contacté au cours de cette recherche, n’ont malheureusement pas pu nous fournir plus de détails parce qu’elles ne disposent pas de statistiques fiables du nombre de femmes tuées en Haïti ces dernières années.

Mais, nous estimons qu’avec l’accroissement spectaculaire du phénomène de gangstérisassions et d’enlèvements en Haïti ces derniers temps, les femmes sont, de plus en plus, l’objet de viols suivi d’assassinats. 

Le cas d’enlèvement et de séquestration suivis de sévices, de viol et d’assassinat d’Evelyne Sincère, une élève de terminale, âgée de 21 ans, enlevée par des bandits armés à Port-au-Prince, le 29 octobre 2020, est l’un des exemples récents le plus spectaculaire des cas de féminicide en Haïti.

En cette circonstance particulièrement émouvante, des personnalités tant de l’opposition politique (Réginald Boulos, André Michel, Jean-Charles Moïse, etc.) que du gouvernement haïtien (la Ministre de la condition Féminine et aux droits des femmes, Marie Ghislaine Mompremier, le Ministre de la justice et de la sécurité publique, Rockfeller Vincent, etc.) révoltées et indignées, condamnent à l’unanimité ce crime odieux tout en estimant que la victime avait été enlevée, séquestrée, violée, assassinée et son cadavre dénudé abandonné sur un lot de déchets en pleine rue à Delmas 24 parce qu’elle était une femme. 

Des féministes, des organisations de défense des droits humains, des camarades de classe de la victime, des artistes, etc. ont déposé des gerbes de fleurs à l’endroit où son cadavre a été découvert.

Ces différentes structures organisées avaient déjà réalisé, auparavant, des marches pacifiques pour dénoncer l’insécurité grandissante et généralisée notamment des cas d’enlèvements qui ne cessent de se multiplier sur tout le territoire de la République et réclamer justice en faveur des victimes.

Même le président de République, Jovenel Moïse, s’est dit choqué et indigné par cet acte crapuleux et a enjoint les autorités policières et judiciaires à mettre les bandits hors d’état de nuire dans le plus bref délai.

« En tant que père de famille, je suis profondément choqué par l’enlèvement suivi de l’assassinat de la jeune écolière Evelyne Sincère. De telles atrocités sont inacceptables. Les autorités policières et judiciaires n’ont qu’un seul choix : mettre les bandits hors d’état de nuire. », a-t-il précisé.

Des autorités policières et judiciaires ont, de leur côté, promis de tout mettre en branle pour que les auteurs de ce crime soient recherchés, arrêtés et jugés pour que lumière soit faite dans cette affaire tout à fait particulière.

Cependant, malgré l’émoi et l’indignation provoqués par l’assassinat de cette écolière de 21 ans, il faut dire que ces genres de féminicide ne sont, malheureusement, pas nouveaux en Haïti.

On se rappelle l’enlèvement, suivi d’assassinat horrible, de la jeune étudiante, Natacha Farah Kerbie Dessources, le 13 novembre 2006 à Port-au-Prince. En effet, âgée de 20 ans et étudiante en première année à l’Ecole Normale des professeurs de St-Louis de Gonzague, Melle Dessources a été, violée, suppliciée et abandonnée sur un tas d’immondices par ses ravisseurs après deux jours de séquestration. Elle a été retrouvée avec ses deux yeux crevés et ses seins mutilés, malgré le versement d’une rançon par sa famille.  

On se souvient également de l’assassinat spectaculaire de la jeune Lencie Mirville, âgée de 24, enlevée le 30 novembre 2015, qui a créé comme ceux des Mlles Dessources et Sincère un choc émotionnel tant au niveau national qu’international.  

Pour un rappel des faits, elle était étudiante en agronomie à l’Université Quisqueya. Elle a été enlevée la veille de son départ au Canada pour poursuite d’études. Son cadavre a été découvert sept (7) jours plus tard dans un ravin sur la route de Jacmel, malgré le versement d’une rançon de 100 000 dollars américains par sa famille sur les 300 000 exigés par les ravisseurs.

Plus récemment, signalons la séquestration suivie de l’assassinat de Melle Juventha Cantave, âgée de 23 ans, tuée par son patron, Occé Samuel alias Jean-Jacques, sur son lieu de travail à Tabarre le 11 novembre 2020, soit le 1er jour de son embauche

Selon les informations circulant sur les réseaux sociaux, la victime a été tuée pour avoir eu une prétendue relation amoureuse avec le meurtrier et s’est opposée à une relation sexuelle avec lui dans son bureau en fin de journée, peu après le départ des autres employés. Il s’agit, une fois de plus, d’un cas flagrant de féminicide.

Pour en finir avec des exemples de féminicide qui sont tellement fréquents en Haïti, citons le cas de Ginoue Mondesir, présentatrice vedette de la télévision Télémax qui a été sauvagement battue par son petit ami sur la route nationale # 1 et a succombé quelques minutes plus tard des suites de ses blessures dans un centre de santé à l’Arcahaie le 24 décembre 2005.

Ces meurtres et assassinats révoltants mais de plus en plus récurrents devraient attirer l’attention du gouvernement haïtien sur la montée vertigineuse de ce phénomène afin de prendre des dispositions nécessaires pour un renforcement de l’arsenal juridique du pays, des structures d’accueil et d’une meilleure prise en charge de femmes et jeunes filles victimes de viols, d’agressions sexuelles, des harcèlements, des violences conjugales, etc. afin de prévenir le plus tôt possible le féminicide.

Oui, il est indéniable que les femmes et les filles haïtienne sont de plus en plus exposées au sexisme (discriminions, harcèlements, stéréotypes, violences, meurtre, etc.). Dès lors, il devient incontestable que la lutte contre les violences faites aux femmes doit être très nettement renforcée.

Cela devrait passer inévitablement par la formation et la sensibilisation des acteurs judiciaires et policières. Mais les Ministères de la santé publique, de l’éducation nationale, de la Justice et de la sécurité publique, de la condition féminine et aux droits des femmes, de la Jeunesse et des sports doivent eux-aussi jouer leur partition dans cette quête de non-violence envers les femmes.

Le Ministère des affaires sociales et du travail devrait, pour sa part, accompagner les jeunes filles et les femmes seules qui élèvent des enfants et qui sont dans la précarité, dans leur recherche d’emploi et de formation. La mise en place d’une politique d’aides sociales incluant une couverture d’assurance maladie et d’aides aux logements devrait être envisagée au bénéfice de cette catégorie vulnérable. Car, plusieurs études ont démontré que les femmes et les jeunes filles sans emploi, sans formation professionnelle et / ou en rupture avec leur partenaire sont plus exposées au féminicide.

Les organisations féministes devraient également être moins silencieuses en exerçant des pressions sur le pouvoir public afin qu’une volonté politique soit dégagée au plus haut niveau de l’Etat. Le gouvernement haïtien pourrait donc s’inspirer du modèle espagnol ou français décrit ci-dessus en vue de réduire considérablement voire combattre ce phénomène.

Nous ne pouvons clore cette partie du développement sans jeter un œil sur l’évolution de ce phénomène aux États-Unis, en Asie et en Afrique. 

  • Le féminicide aux USA, en Asie et en Afrique

Aux États-Unis, la situation n’est pas du tout meilleure contrairement à ce qu’on pourrait croire. Une étude, relayée par le site internet américain Newsweek.com révèle que 90% des jeunes de moins de 18 ans tués par leur partenaire ou ex-partenaire sont des filles. 90% des auteurs de ces féminicides sont des jeunes hommes. Cette étude a été publiée dans la revue pédiatrique JAMA.

Les enquêteurs ont également compilé les mobiles invoqués. Dans la majorité des cas, c’est lorsque la jeune femme annonce qu’elle veut quitter son partenaire que ce dernier passe à l’acte. 

Il est aussi révélé que dans un meurtre de femme sur dix, aux Etats-Unis, la victime est tuée au cours d’un viol ou d’une autre agression sexuelle. Dans son récent livre, « Against our Nil », Susan Brownmiller estime que 400 viols suivis de meurtre sont commis chaque année aux USA.

Notre étude nous permet de constater également un fort taux de féminicides dans certains pays asiatiques, notamment en  Chine, en Inde, au Pakistan91 et en Afghanistan92

Il faut dire qu’il existe  dans ces pays  une tendance défavorable à la naissance des filles pour  des raisons93 diverses conduisant même à une rareté de femmes dans ces sociétés.

En Chine, la préférence des garçons par rapport aux filles remonte au confucianisme. La tradition veut, en effet, que le couple de jeunes mariés s’installe chez la famille de l’époux pour subvenir à ses besoins. 

De plus, la naissance d’un garçon est souvent perçue comme une garantie de retraite pour les parents quand celle d’une fille est considérée surtout comme une charge économique. 

Dans ce contexte et vu la démographie grandissante du pays, la politique de l’enfant unique est instaurée en 1979. Donc, pour des raisons de tradition, les familles désirant un garçon tuent leurs filles nouvelles-nées.

En Inde certaines castes considèreraient le garçon comme la « lumière de la maison » du fait qu’il est amené à faire perpétuer le nom de la famille. La naissance d’une fille pourrait même être considérée comme une forme de malédiction93.

Rappelons enfin que les pays d’Afrique ne sont pas parmi les meilleurs élèves de la classe. Le berceau de l’humanité serait même considéré comme le continent le plus fortement touché par les féminicides familiaux et conjugaux. 

Selon une statistique réalisée et publiée en 2017, l’Afrique est le deuxième continent, tout juste derrière l’Asie, le plus touché par le féminicide avec 19 000 décès (dont 10 000 féminicides conjugaux), et un taux de 3,1 féminicides de ce type pour 100 000 femmes

  • L’implication des acteurs judiciaires dans la lutte contre le féminicide

La lutte contre le féminicide n’est pas seulement une affaire gouvernementale et des associations féministes. La justice doit pouvoir s’y mettre tant en amont qu’en aval. D’ailleurs, si l’on veut effectivement éradiquer ce phénomène, il revient à la justice de donner le ton en assumant pleinement sa responsabilité. 

C’est peut-être pourquoi certaines juridictions nationales mais aussi internationales n’hésitent pas à prendre des sanctions radicales quand elles sont nécessaires. Ainsi elles osent sanctionner non seulement les auteurs des faits mais aussi les manquements ou défaillances des services publics dans la prévention du phénomène. 

Au niveau national, on relève tout d’abord la condamnation de l’Etat français par le Tribunal Judiciaire (TJ) de Paris en mars 2020 pour faute lourde à la suite de l’assassinat d’une femme, Isabelle Thomas, en 2014 par son ex-conjoint, Patrick Lemoine.

Qu’alors que celle-ci avait alerté les services de police par des plaintes et mains-courantes sur les risques qu’elle encourrait face à son ex-conjoint qui ne respecte pas « son contrôle judiciaire et l’interdiction d’entrer en contact avec elle » dans l’attente de leur procès, la Police n’avait pris aucune mesure supplémentaire pour la protéger. 

Isabelle Thomas, professeure de mathématique, âgée de 49 ans et ses parents ont donc été abattus par son ancien conjoint, au terme d’une course-poursuite dans les rues de Grande-Synthe (France) le 4 août 2014.

Saisi par la famille des victimes pour « fonctionnement défectueux du service public de la justice » le 30 novembre 2018, le Tribunal judiciaire de Paris a rendu une décision en mars 2020, rendue publique le 20 avril 2020, pour le moins rarissime condamnant l’Etat à 100 000 euros de dommages et intérêts.

 En l’espèce, le tribunal, rejetant deux des trois griefs à savoir, « la mise en place d’un contrôle judiciaire inadapté et l’absence de réponse face au non-respect du contrôle judiciaire », a, en revanche, estimé qu’une faute lourde avait été commise par les services de police, qui « n’ont pas tout mis en œuvre » pour retrouver le conjoint violent alors qu’il violait son contrôle judiciaire.

Quoique rares, ces condamnations de l’Etat demeurent récurrentes, témoignant malheureusement de la permanence du problème. Une semblable condamnation avait été ainsi rendue à l’encontre de l’Etat par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 7 mai 2014, à propos de l’assassinat d’une autre femme, Audrey Vella. 

Mère d’une petite fille de 7 ans, Audrey Vella était décédée à l’hôpital d’une hémorragie interne après avoir reçue neufs coups de couteaux dans le corps de la part de son ex-compagnon.

Sur le plan international, ensuite, la Cour européenne des droits de l’Homme a reconnu la responsabilité de plusieurs Etats européens en raison du manque de diligences mises en œuvre pour éviter des féminicides pourtant annoncés. 

L’arrêt Opuz contre Turquie en 2009 en est donc une illustration. En l’espèce, Mme Nahide Opuz a saisi la Cour européenne des droits de l’Homme par requête en date du 15 juillet 2002 conformément aux dispositions de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle arguait notamment le manquement des autorités turques à leur devoir de protection contre les violences domestiques subies par elle et sa mère, et qui ont conduit à la mort de celle-ci.

Par arrêt en date du 9 juin 2009, la Cour a condamné la Turquie tout en rappelant que l’État a non seulement « l’obligation d’empêcher les atteintes illégales au droit à la vie, mais également de prendre toutes les mesures appropriées pour préserver la vie sur son territoire », et particulièrement en fonction de ce que « les autorités savaient ou auraient dû savoir, à ce moment-là, de la réalité et de l’imminence du risque d’atteinte à la vie concernant une personne donnée ».

Selon la juriste Gaëlle Breton-Le Goff, cet arrêt s’illustre par sa volonté de s’insérer un courant international qui tend à considérer la violence conjugale comme une violence spécifique au sexe et à obliger les États à prendre des mesures efficaces pour lutter contre elle.

En Amérique, les juges de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme ont  aussi adopté une décision presque similaire que celle de leur homologue européen dans un célèbre arrêt dit « champ de coton » rendu également en 2009 dans l’affaire de violence contre les femmes au Mexique. 

En l’espèce, suite à la découverte des cadavres de deux jeunes filles et d’une femme, Esmeralda Herrera Monreal, Laura Berenice Ramos et Claudia Ivette González, activement recherchées après leur disparition aux côtés des cadavres de cinq autres jeunes femmes les 6 et 7 novembre 2001 dans un ancien champ de coton  à Ciudad Juárez, la famille des trois premières victimes ont  saisi la Cour interaméricaine des droits de l’Homme contre l’Etat mexicain qui, selon eux, n’a pas su prévenir de manière efficace la série de violences marquées par le meurtre, depuis 1993, de plus de 450 femmes de Ciudad Juárez, dans bien des cas après un enlèvement et un viol.

La Cour en a profité pour poser, dans cet arrêt qui demeure depuis emblématique, les mêmes principes que celle de la Cour européenne des droits de l’Homme en condamnant le Mexique pour son manque de diligences dans les enquêtes, son impéritie dans la prévention des disparitions et son traitement discriminatoire à l’égard des femmes, en le reconnaissant coupable entre autres de violation du droit à la vie, à l’intégrité et à la liberté individuelle.

Notons aussi que la sanction de la Cour s’est accompagnée d’une série d’obligations de natures diverses (éducation, révision des procédures d’enquête et de prise en charge des cas signalés, reprise des enquêtes sur d’autres cas non élucidés et enquêtes sur les défaillances, obligation de publication de résultats sur Internet, etc.). 

Plus d’un considèrent cette décision comme un tournant dans les annales des jurisprudences de la Cour pour au moins deux raisons. D’une part, c’est pour la première fois que la Cour s’estime compétente pour juger une violation de l’article 7 de la Convention Belém do Pará (Convention interaméricaine sur la prévention, la sanction et l’élimination de la violence contre la femme).

D’autre part, elle analysa le contexte de violation de genre structurelle qui régnait à Ciudad Juarez, ce qui a permis de déclarer le Mexique internationalement responsable pour son manque de prévention par rapport aux violations commises par des particuliers.

Pour conclure, rappelons que  c’est en Amérique latine, dans les années 1960, que s’est engagée la réflexion sur la spécificité des violences faites aux femmes, à la suite notamment du triple meurtre des sœurs Mirabal (Patria Mercedes, María Argentina Minerva et Antonia María Teresa) dites les « Mariposas », engagées dans le mouvement clandestin de lutte contre la dictature de Rafaël Trujillo en République dominicaine, et qui a, par la suite, mené à l’utilisation institutionnelle du terme de féminicide

En effet, à la suite de l’assassinat des sœurs Mirabal en République Dominicaine, une Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes est instituée d’abord dans différents pays d’Amérique latine avant d’être adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en 1983.

D’ailleurs,  dans plusieurs pays d’Amérique latine, le féminicide est considéré comme une circonstance aggravante du meurtre, lorsqu’il est commis sur une femme par son mari ou son ex-compagnon alors qu’il est reconnu par d’autres comme un crime spécifique. C’est le cas de la Bolivie, l’Argentine, le Chili, le Costa Rica, la ColombieSalvador, le Guatemala, le Mexique et le Pérou.

 

Magistrat Paul PIERRE

Juge d’instruction au Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince ;

Titulaire d’un Master II en Carrières Judiciaires et Contentieux à l’Université d’Evry-Val-d‘ Essonne, d’une Maîtrise en Sciences Criminelles et d’une Licence en droit à l’Université Paris1 Panthéon-Sorbonne (Paris, France).

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