Un témoin clé dans une affaire américaine de trafic de stupéfiants a été extradé en Floride pour faire face à des accusations de distribution de cocaïne et d’héroïne. Ses déclarations avaient poussé le ministère de la Justice à enquêter sur des allégations d’actes répréhensibles commis par des agents de la DEA en Haïti, selon le Miami Herald.
Le journal indique que, Gregory Georges, décrit comme lieutenant dans un réseau de contrebande opérant au sein du terminal privé de Varreux, est arrivé à Fort Lauderdale ce vendredi 3 mai dans l’après-midi à bord d’un avion de la DEA après que le ministre de la Justice haïtien, Jean Roody Aly, eut signé l’ordre d’extradition.
Le 30 avril, à Miami, un grand jury fédéral a inculpé Georges pour complot visant à distribuer plusieurs kilos de cocaïne et d’héroïne de juillet 2013 à juin 2015 provenant de la Colombie, sachant que la drogue serait exportée aux États-Unis.
Georges, qui a été emprisonné en Haïti trois ans avant son extradition, devrait jouer un rôle central dans l’enquête menée par le bureau du procureur américain dans l’affaire *MV Manzanares*, battant pavillon panaméen. Ce bateau, arrivé à Port-au-Prince en provenance de Colombie en avril 2015, avait transporté des sacs de sucre importé et entre 700 et 800 kilos de cocaïne et 300 kilos d’héroïne, d’une valeur estimée à 100 millions de dollars américains.
Dans une précédente interview avec le Miami Herald, Georges a déclaré qu’il avait été victime de nombreuses tentatives d’assassinat à la prison civile de la Croix-des-Bouquets, où il était parfois maintenu en isolement pour sa protection.
Des sources proches de son cas indiquent que la dernière tentative d’assassinat à son encontre a lieu il y a une semaine, lorsqu’il a été battu à l’intérieur de la prison. Ils ont déclaré à Miami Herald qu’il y avait eu au moins une demi-douzaine de tentatives d’assassinat, dont une dans laquelle il avait été enfermé dans une camionnette et gazé lors d’un transfert autorisé. L’incident s’est produit le 17 août 2017.
En déchargeant le sucre des Manzanares après son arrivée au début d’avril 2015, les débardeurs sont tombés sur la réserve cachée de drogue et une scène anarchique s’est rapidement déroulée. Une quantité de personnes, y compris des officiers de police affectés au Palais national d’Haïti et un juge, ont été accusées de s’être emparées de la drogue.
L’ancien commandant de l’unité anti-drogue de la PNH, Joris Mergelus, serait également impliqué. Il a été accusé d’avoir accepté des pots-de-vin pour entraver l’enquête sur l’affaire Manzanares, connue désormais sous le nom de «l’affaire du « bateau à sucre ». Il a nié avec véhémence tout lien avec des trafiquants de drogue.
Accusé d’avoir détruit des éléments de preuve dans l’enquête en cours sur le trafic de drogue Manzanares, il a été démis de ses fonctions en 2017 par le DG de la PNH, Michel-Ange Gédéon. Depuis lors, Mergelus a été affecté à un poste de bureau de la police en attendant le résultat d’une enquête interne.
L’enquête sur le bateau à sucre a été révélée après que deux agents de la DEA ont déposé plainte pour dénonciation, ce qui a déclenché l’enquête du ministère de la Justice américaine sur l’efficacité des efforts de lutte de la DEA en Haïti. Un examen initial effectué par le Bureau du conseil spécial a révélé « une probabilité substantielle d’actes répréhensibles » au bureau de la DEA en Haïti.
À en croire le journal, Georges aurait récupéré plusieurs kilos de cocaïne et d’héroïne dans des cargos colombiens amarrés à Port-au-Prince. Son surnom est Ti-Ketant, en référence au tristement célèbre roi de la cocaïne haïtienne, Beaudouin « Jacques » Ketant, qui avait accusé l’ancien président Jean-Bertrand Aristide d’avoir accepté des pots-de-vin liés à la drogue. Il avait eu une réduction de moitié de sa peine de 27 ans dans une prison américaine.
Sur les 16 personnes arrêtées par la police nationale d’Haïti dans l’affaire Manzanares, seul Georges est resté en prison. Il a été la cible d’hommes d’affaires haïtiens impliqués dans cette affaire. Ils l’ont accusé de mentir, selon le Miami Herald.
Joel Hirschhorn, un avocat qui représente à Miami un membre de la famille Mevs, propriétaire du terminal Varreux, a déclaré que la sécurité du port n’était pas en cause et qu’il n’y avait pas de contrebande de drogue dans le port. La famille a même payé pour construire une sous-station de police pour les narcotiques au port en 2017, a-t-il déclaré. Mais c’était deux ans après l’incident de Manzanares.
Samantha Feinstein, une analyste juridique du Government Accountability Project, qui représente les employés fédéraux aux prises avec des plaintes de dénonciateurs, a déclaré qu’il n’était pas facile de sortir Georges de Haïti en vie. Elle a également déclaré avoir subi représailles au sein de sa propre agence pour avoir aidé Georges et maintenu la pression sur l’enquête de Manzanares.
« C’est un miracle que M. George soit en vie après ce qu’il a vécu et Government Accountability Project se réjouit qu’il soit maintenant en sécurité aux États-Unis et que l’enquête sur Manzanares ait été préservée », a déclaré Feinstein. « Nous parlons de l’une des plus grosses saisies de drogue en Haïti et de la seule saisie dans ce port depuis plus d’une décennie» a-t-elle déclaré.
L’été dernier, AJ Collazo, agent spécial nommé par la DEA pour la division des Caraïbes, a minimisé l’importance du lien entre les Etats-Unis dans cette affaire et a déclaré à Miami Herald que l’affaire de la canne à sucre lui avait semblé « quelque chose qui était poursuivi en Haïti et qui allait prendre fin en Haïti ».
Feinstein a déclaré que non seulement le commentaire était troublant, mais que l’acte d’accusation de Georges « démontre non seulement le lien avec les États-Unis, mais aussi une volonté à mettre fin au trafic de drogue dans le port haïtien en commençant par enquêter sur le cas Manzanares ».
Source : Miami Herald